Un petit retour dans le passé, avec ce récit d’une chasse qui s’est déroulée en 1833 en Côte d’Or, contée par « un abonné amateur de chevaux et de chasse » du Journal des Chasseurs.
« Au mois d’octobre 1833, il s’est passé, près d’Autun, un évènement digne de figurer dans les annales de chasses, tant par la vigueur, la souplesse et le courage du cheval, que par l’habileté, le sang-froid et la hardiesse du cavalier.
M. de M***, qui habite les environs d’Autun, a une meute de chiens anglais extrêmement vite, forçant habituellement un sanglier en deux heures. Il est possible de suivre cette meute avec des chevaux du pays, qui sont plus durs à la fatigue que les chevaux anglais, mais moins rapides. M. de M***, qui suit toujours et précède quelquefois ses chiens, ne monte jamais que des coursiers de sang. Laissant le cheval morvandeau à ses piqueurs, seuls armés de carabine. Le maitre d’équipage, lui, n’a qu’un couteau de chasse.
Le 12 octobre, M. de M***attaqua un gros sanglier. Les chiens découplés les premiers coururent avec une telle vitesse, qu’il fut impossible au reste de la meute de les rejoindre, d’autant plus qu’un vent violent s’étant élevé, fit perdre la chasse à tous les amateurs, même aux piqueurs. M. de M***, plus heureux que les autres, entendit les chiens et se transporta vers eux à bride abattue, malgré ravins, haies et rivières. Six chiens étaient déjà hors de combat, et cinq seulement tenaient à l’aboi au milieu d’un champ. Dès que le sanglier aperçut le cavalier qui venait de son côté, il fut le premier à courir dessus comme un furieux. En galopant en cercle, le cheval l’évita, mais M. de M*** n’était point homme à laisser sacrifier ses chiens. Il tira donc son couteau de chasse, dirigea son cheval au pas droit sur le monstre, et quand il vit que celui-ci chargeait, il s’arrêta tout à fait, tâchant de mettre le sanglier à sa droite. Effectivement, M. de M*** n’eut que le temps de lever la jambe, lorsque, d’un coup de boutoir, son étrier fut enlevé. M. de M*** profita du moment pour se pencher en tenant une poignée de crins, et enfonça son couteau de chasse jusqu’à la garde, entre les côtes. D’un bond, le sanglier obligea le chasseur de lâcher son arme, mais le cheval reçut dans la jambe un coup de défense qui avait dix-huit pouces de long, et s’étendait depuis les os du jarret, jusqu’au grasset.
Le sanglier continuait de courir avec le couteau de chasse qui faisait saillie au milieu du dos, et il sauta même une haie, chose assez rare, les sangliers les traversent ordinairement. Le cheval déploya à le poursuivre, avec autant de vitesse et d’ardeur qu’avant sa blessure que le cavalier ignorait. Arrivé près de la haie, assez élevée, il n’hésita pas à la franchir. Le sanglier se mit le dos contre la haie, et dans cette position, faisait tête aux chiens. M. de M*** voulait, pour achever une victoire si bien commencée, reprendre son couteau de chasse. Dans cette intention, il fit suivre la haie à son cheval, au pas, jusqu’à une petite distance du sanglier. Alors il partit ventre à terre, le cheval sauta franchement par-dessus le sanglier. Ce fut pendant le saut, qu’en se penchant à l’aide des crins, M. de M*** retira son couteau, revint ensuite à la charge, et parvint à donner un second coup, qui acheva le monstre de 230 livres.
Une heure après la victoire, le cheval refroidi ne pouvait plus appuyer la jambe par terre. L’hémorragie fut violente. Ce vaillant animal ne reprit son agilité et ses moyens que trois mois après son accident. Ce cheval bien connu à Paris où il a gagné une course au clocher, sortait des écuries de monseigneur le duc de Nemours, qui a fait la campagne d’Anvers avec… ».