La vieille louve menait sa meute depuis des années. Riche d’expériences, prudente mais implacable, elle connaissait les passages, les clôtures fragiles, l’odeur des bêtes rassemblées. Cette nuit-là, les prédateurs avaient flairé la proie depuis la crête, guidés par le musc des brebis et la chaleur animale qui montait des replats. La meute avançait en silence, oreilles basses, frôlant les ombres. Devant la bergerie, le Patou veillait. Vieux compagnon, massif, couturé de cicatrices, gardien infatigable, il avait déjà tenu tête aux loups, souvent en hurlant sa présence, parfois en mordant, mais jamais encore il n’avait dû lutter pour sa propre vie. L’assaut fut bref, violent. La louve bondit la première, la gueule ouverte sur la gorge du chien. Ils roulèrent au sol dans une lutte sourde. Le Patou encaissa, puis rendit les coups avec toute la force de sa mâchoire. Ses crocs trouvèrent le cou de la vieille meneuse, l’écrasèrent dans un craquement sec. Elle s’effondra dans la poussière, la gueule tordue, le souffle rompu. Mais le chien n’en sortit pas indemne. La cuisse transpercée, la chair arrachée, il boitait déjà. Son sang tachait la terre au pied de la clôture. La meute recula, hésitante. Sans sa cheffe, elle n’osa pas s’aventurer plus loin cette nuit-là. Les brebis, serrées les unes contre les autres, tremblaient dans la clarté lunaire. Le berger, Adrien, arriva trop tard. Il trouva son chien couché, haletant, et le cadavre de la louve encore chaud. Il fit ce qu’il fallait : appeler le vétérinaire, soigner tant bien que mal le Patou, rassurer ses bêtes. Mais au fond de lui, il savait : rien n’était fini...
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