En ce temps, pas si lointain, où le sanglier était une véritable légende, rarement sur pieds, il arrivait quelquefois, comme aujourd’hui d’ailleurs, que quelques coups de fusil malheureux fassent des orphelins. Mais à cette époque, le culte du marcassin et la sensibilité du chasseur étaient encore intacts et il arrivait fréquemment que quelques rescapés regagnent, le dimanche soir, le logis de celui qui avait « négocié » la maman, et dont l’épouse, maternelle et sollicitée, se déclarait prête à donner la tétée. C’est ainsi que ces charmantes bestioles, dociles comme des petits chiens, trouvaient leurs places dans une maison accueillante. Elles n’avaient qu’un tors, celui justement de ne pas rester petites. Au cours des mois qui suivaient, profitant de soins attentifs et d’une nourriture abondante, elles prenaient du poids et s’affirmaient de plus en plus dans la maisonnée, réclamant à grands coups de boutoir dans les tibias, quelques miettes ou une assiette de lait...
Côté Loisirs, Les Récits...

Sur la paillasse du chenil, Pollux, somnolent et dédaigneux, restait couché. Le brouet était pourtant servi, à pleines auges… « Pollux ! Alors mon vieux Pollux, à la soupe mon beau, à la soupe ! ». Le concentré remplissait les auges. Il dégageait un fumet flatteur que les chiens, alignés et aux ordres, aspiraient. Ils attendaient l’autorisation de l'engloutir. « La Feuille », le premier piqueux, y avait mis une hure d’un vieux solitaire, après en avoir extrait les défenses et les grès. À son signal, les soixante anglo-français se jetèrent sur les auges à gueules friandes, le fouet vif, hargneux comme à la curée. Sur le bat-flanc, Pollux restait couché. Ah, ce Pollux ! Aux rendez-vous, dans les instants proches de l'attaque, quand les chiens commençaient à tirer sur les couples, les boutons de l'équipage le montraient aux néophytes, droit sur ses pattes, fier dans son manteau de feu, de blanc et de noir. « Vous voyez celui-là, c’est Pollux, notre meilleur chien de tête. Il est toujours aux avant-postes. Suivez-le et il vous emmènera à l’hallali ! »…
Cent quarante-trois bouteilles de vin pour un sanglier de 53 kilos, qui dit mieux ? Nous sommes dans un petit village de l’un de ces beaux départements de l’Est de la France. Quelques centaines d’âmes y vivent paisiblement, à quelques kilomètres du chef-lieu. Comme partout, regroupés en association communale, les chasseurs de la bourgade, au nombre de seize, ont pour territoire la plaine qui ceint le village et les bois communaux. C’est donc sur ces trois cents hectares de forêt que l’aventure a commencé. Mais revenons à ce dimanche matin de décembre 2006. Comme tous les dimanches matin de la saison de chasse au bois, les sociétaires se rendent à la « baraque » pour neuf heures. Il faut en effet laisser le temps aux deux agriculteurs du village, de terminer leur tâche. Cela permet aux chasseurs de faire un petit détour dans le pays et de passer chez Sébastien, le boulanger. Il n’est pas chasseur Sébastien, mais il les aime bien et cela pour deux raisons. D’une part, ils sont sympathiques et d’autre part, ils sont tous des bons clients...
Limaille est un petit village tout en longueur, où les fermes et les quelques commerces s’alignaient des deux côtés de l’unique rue, le long des larges usoirs. Ce jour-là, à l’heure de l’apéritif, trois chasseurs s’accoudaient au zinc du café Dupette : le grand Roger, le Riquet et l’Ernest. S’il n’y avait leur passion commune pour la chasse, rien n’expliquait leur amitié tant ils étaient différents. Bel homme, le Roger posait le type même du grand gaillard toujours habillé avec élégance, le Riquet passait déjà son temps à se plaindre et l’Ernest, agriculteur à la retraite jouait le mentor de l’équipe…
C’est une bien « grande gueule » que les « cochons » craignent comme la peste. Imaginez un peu, même s’il n’est pas tombé dans la potion magique : le bougre étalonne plus d’un quintal et 2 mètres 10 de hauteur, et je ne vous parle pas de l’envergure… Le poids de sa personnalité est à l’avenant, et j’ai le privilège de faire partie des rares personnes pouvant se targuer d’avoir toute sa protection, car un jour je lui avais cédé mon poste de battue. J’avais jugé moqueur et indécent qu’il lui soit attribué systématiquement le poste 19, celui le plus éloigné de notre parking de chasse. Les postes étaient tirés au sort bien sûr, mais le 19, trois fois de suite, ça faisait beaucoup. Le sort s’acharnait-il sur le bonhomme ? Hubert, le bien nommé, est complètement, viscéralement et étrangement féru de « cochons ». Lui-même ne sait pas pourquoi ça le tient aux tripes. Il respire, sent, sue et rêve d’eux en permanence. Sa femme, elle, est toute menue. On aurait pu croire qu’Hubert l’avait ainsi choisie pour la dominer, mais leur différence de morphologie lui permet tout simplement de mieux se poser en protecteur. Car Hubert a un cœur tendre. Grande gueule, certes, mais un cœur de velours…
Le berger regardait venir Chandon, le garde... Il cheminait à travers les pâturages qui descendaient en pente douce vers une large dépression, occupée par un sombre massif forestier de chênes et de hêtres, là où les eaux de la plaine réapparaissaient en sources fraîches, au milieu de roches ruiniformes. Au-delà, c'était l'horizon infini du plateau de Langres. A quelques lieues, 
Ils étaient venus, ils avaient constaté. Il y avait des gradés, des gardes avec l’insigne, un de la DDTM, un de la fédé, un voisin éleveur, le vétérinaire et un autre qu’il ne connaissait pas, surement un des écolos, peut être un garde du Parc… Il avait des jumelles, mais à quoi pouvaient-elles servir maintenant ? Lui, pauvre berger, il avait pleuré. Puis il avait fait venir l’équarisseur, puis fait les papiers. Il avait réinspecté sa clôture près de la bergerie, descendu le troupeau de la montagne, calmé les bêtes. Puis il s’était couché, fatigué, éreinté… Il avait dormi profondément une ou deux heures, pas plus. Il avait rentré le chien, la garde était inutile ici-bas. La nuit passée, les loups n’avaient même pas eu peur. Savaient-ils que le chien était blessé à la cuisse, souffreteux, fiévreux ? Heureusement le vétérinaire l’avait dit hors de danger. Habituellement les loups avaient peur des chiens, ce n’était plus le cas, ils n’avaient même plus peur des hommes, on disait qu’il y avait eu trop de croisements avec les chiens sauvages…
Vous avez dit nature ? Vous avez dit biodiversité ? Ici « Môssieur », c’est le règne du cochon, dont on peut se demander, pour certains endroits, ce qu’il a encore de sauvage… Magnifique département forestier français, la Meuse n’accueille malheureusement aucune industrie pour mettre son bois en valeur, ni aucune filière de transformation. De son côté, l’agriculture industrielle a tout sacrifié aux dieux « Maïs » et « Colza », et les paysages dévastés par les remembrements ne permettent plus au petit gibier d’abonder comme autrefois. Pourtant, en bons petits Gaulois qui ne s’en laissent pas compter, quelques chasseurs de petites sociétés et d’ACCA particulièrement, ont fui le système argenté de la facilité. Abandonnant cocottes et porcheries, ils ont entrepris un travail de fond pour restaurer une vie aussi naturelle que diversifiée. Au nord, l’immense GIC du Val Dunois est devenu une véritable référence, avec des résultats plus que flatteurs obtenus à force de travail. Au sud, plus modeste, mais avec une belle réussite également, on y trouve le petit village où réside Aurélie, une jolie petite blondinette passionnée de chasse. « On la voit depuis toujours avec son père et elle ne manque aucun rendez-vous » assurent les chasseurs du village. Nous sommes dans le Barrois et loin, très loin des grandes routes...
Extrait n° 10 du tome 4 de « Bonheurs de chasse »