La forêt domaniale des Lessinnes étend ses ondulations sur un vaste plateau calcaire à quelque distance d’un petit bourg de l’Est, bien connu pour la réputation de sa métallurgie. Le rendez-vous de chasse de la société « Les amis des Lessinnes », adjudicataire du massif, avait été aménagé dans une ancienne maison de garde forestier. Une grande pièce accueillante, chauffée par une large cheminée, jouxtait sur sa droite une cuisine et sur sa gauche un chenil cimenté, bien abrité des vents dominants, dans lequel s’ébattaient joyeusement une dizaine de chiens de toutes races, comprenant deux fox, un basset fauve de Bretagne, quatre nivernais et trois briquets de pays, des « barbouilloux » issus de croisements dont seule la nature a le secret. On devinait les origines à leur attitude, tenant bien plus du chien de troupeau que du chien de chasse. C’est là que, mon frère jumeau et moi, étions attendus par le maître des lieux, qui nous avait courtoisement invités à venir partager une journée de chasse aux sangliers, avec son équipe. Bien qu’originaires du bourg, que nous avions quitté très jeunes, c’était la première fois que nous étions conviés à une chasse dans les Lessinnes, dont la réputation et les récits de leurs succès nous parvenaient régulièrement par des parents et amis. Nous étions début décembre, période où les bêtes noires sont les moins discrètes, ce qui garantit souvent le succès des battues. Le nouveau tout-terrain de mon frère venait de prendre rang dans la cour, au milieu d’autres véhicules, arrivés avant nous. La journée, sans vent, sous un ciel dégagé, s'annonçait magnifique. Actionnaires et invités, une trentaine en tout, animaient la grande salle à manger, tous affairés devant la soupe au lard bien chaude que servait la femme du chef traqueur, préposée à la seule préparation des repas, la boisson étant une chose bien trop grave pour qu’on la retire à la délicatesse de chacun. Parmi cette joyeuse assemblée, deux femmes, costumées en chasseresses élégantes, bavardaient entre elles. « Des femmes, à la chasse au sanglier ! » chuchota d’un ton désabusé mon frère. Il est vrai qu’il avait conservé les vieilles traditions de nos ancêtres, qui ne les toléraient pas volontiers dans d’autres activités que celles pour lesquelles ils pensaient qu’elles étaient faites : la cuisine et les enfants ou l’inverse, si cet ordre vous choque...
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