« Quelques années plus tard, afin de retremper la souche des chiens de Ménéhouarne, on fit appel au fameux sang de Persac. On acheta au vicomte de la Besge, sept chiens : Téméraire, Fingal, Ténébro, Montjoie, Mandane, Légère et Sandale, qui avait fait l'admiration des veneurs à l'exposition canine de Paris… Le comte de Pluvié, ayant élevé plusieurs portées de loups, eut l'idée de tenter des croisements avec ses chiens de meute. Cela ne produisit rien de merveilleux. Outre que ces métis ne sont pas plus mordants que les autres chiens, ils ont le défaut, à la première génération, d'être peu criants ou d'avoir de vilaines voix. Je ne crois pas qu'à Ménéhouarne on ait tiré race de ces croisements, mais j'ai connu à l'équipage de Sillé des chiens ayant du sang de loup. Ils ne se signalaient par rien de particulier. Dès la deuxième génération on ne trouve plus trace du loup. J'ai sous les yeux une lettre du piqueux Lucien adressée au cocher de Ménéhouarne. Elle est datée du 5 décembre 1887. En voici un passage : « Tu me demandes si nous faisons de belles chasses en forêt des Salles. Le déplacement s'annonce bien. En neuf chasses nous avons pris sept animaux : deux louvarts et cinq sangliers. Nous avons manqué un sanglier et un cerf. Encore ce dernier aurait-il été pris si, à l’hallali, une partie des chiens n'ayant pas voulu tenir les abois n'était partie sur le contre, entraînant derrière eux la plupart de leurs camarades ».

 

Une journée mémorable

Parmi d'autres papiers, voici un compte rendu écrit par Louis de Kersauson. Il s'agit d'une chasse au sanglier qui doit se situer vers 1880. « L'équipage du comte de Pluvié chassait dans les bois de Trédion. Le 17 novembre, sur le rapport des gardes, il fut décidé qu'on attaquerait dans les bois de Villeneuse, appartenant au comte Roger de Sivry, où un animal de 250 livres était signalé. Le rapproché fut de courte durée. Le solitaire fit tête à l'attaque, blessant un chien. Après une heure de chasse, il eut la malencontreuse idée de débucher dans une grande lande où il fut aussitôt rejoint par les chiens. Alors commença un émouvant hallali courant, au cours duquel huit chiens furent mis hors de combat. Le vicomte de Pluvié, toujours premier à pareille fête, se précipita à bas de son cheval pour servir l'animal. Une faible barrière séparait les deux adversaires. Renverser ce léger obstacle et fouler le vicomte fut pour le grand sanglier, l'affaire d'un instant. Le piqueux Lucien arrivait au galop, il fut culbuté, et son cheval Orthos grièvement blessé. M. de Kéridec, dont le courage égale la modestie, accourant à son tour, porta à l'animal un coup de sa dague. Semblant puiser de nouvelles forces dans ses blessures mêmes, le sanglier chargea l'intrépide veneur, lui faisant trois blessures, puis il gagna la route de Malestroit, blessant encore sur son passage Châtelaine, une jument de l’équipage. Ce fut son dernier exploit. Couché dans la douve de la route, il fut achevé sans peine. Un homme, deux chevaux, neufs chiens blessés et un sanglier de 250 livres servi à la dague, tel était le bilan de cette journée mémorable. Aussi un chasseur étranger, hôte du comte de Virel, put-il dire : - Pour daguer un sanglier de cette force, il faut être Bas-Breton -. Quelques années plus tard, le comte de Pluvié fit une nouvelle acquisition : il acheta des chiens à M. de Lesguern, surnommé le Père Canard, et qui, dans la région de Landerneau, avait une grande réputation de chasseur de loups. Une jolie chienne, Créole, a laissé de la descendance à Ménéhouarne. Puis ce fut M. Jules de Kerjégu qui, s'étant décidé à démonter, fit don d'une dizaine de chiens, d'ailleurs assez ordinaires, qui n'ont laissé d'autre souvenir que celui de leur disposition à prendre les moutons… A partir de 1890, les sangliers commençant à faire défaut, le comte réduisit le nombre de ses chiens et les mit dans la voie du renard…

 

Chiens de tête

« Sancho : ce nom est celui d’un excellent chien provenant de l’équipage du Temps. Après quelques années d'interruption de chasse au sanglier, c'est lui qui remit le vautrait en ordre de marche. Grâce à lui, un sanglier fut pris au Tanuo, sur les bords du Scorff. Malheureusement, Sancho tomba au champ d'honneur deux ans plus tard. Mais ses camarades de chenil avaient profité de ses leçons, et repris goût à la voie du sanglier. Quelques acquisitions furent faites chez Moriceau, fournisseur de la duchesse d'Uzès, parmi lesquelles Harem et Hautbois, deux forts chiens du Poiré, très près du sang anglais, extrêmement mordants aux abois. Quand un sanglier avait ces deux chiens en boucles d'oreille, il lui était bien difficile de s'en débarrasser. Ils ont bien tracé et laissé de bons chiens qui avaient nom : Kaiser, Kronprinz, etc… Puis, un excellent appoint fut celui de cinq ou six sujets de provenance Chevallerau : Rapineau, Soubrette, Dagobert, Détresse… Plutôt chiens de chevreuils, mais ayant un grand amour de la chasse, du train, de la gorge, ils étaient de vrais chiens de tête. Notre effectif fut ainsi porté à 60, et le vautrait de Ménéhouarne, après quelques années d'éclipse allait de nouveau connaître une période brillante dans la voie du sanglier ».

 

La dernière chasse

« Voici le récit de la dernière chasse du Vautrait de Ménéhouarne, le 28 mars 1906. Le piqueux avait justement connaissance de deux sangliers qui, quittant la forêt de Pont-Callec, s'en allaient vers l'ouest dans la direction de Quimperlé. II finit par les rembucher à 10 km de la forêt, dans un petit bois nommé Mohotte. L'équipage fut placé au sommet d'une lande escarpée qui avait vue dans la direction de Pont-Callec, probable débucher. A peine les rapprocheurs découplés, deux renards sortirent du bois. Allaient-ils détourner les chiens de leur voie ? L’inquiétude fut de courte durée. Les rapprocheurs, menant à pleine gorge, débuchaient en sens inverse, et aussitôt, la meute ralliait à l’écoute. Excellente attaque et un seul animal devant les chiens, un ragot de 120 livres. A travers ce pays extrêmement difficile, il fallut marcher un train d'enfer pour ne pas se laisser distancer par les chiens. Au bout d'une heure, la chasse rentrait à Pont-Calice. Puis, après avoir traversé toute la forêt, l'animal revint dans l'enceinte du Pont-Neuf, passa le Scorff et débucha. Le sanglier se fit battre dans les landes, et lors d’un retour, il fut pris à vue par une dizaine de chiens qui sautèrent à l'eau presque en même temps que lui, et furent rejoints, à la rentrée au bois, par un roquet de charbonnier qui fit avec eux toute la fin de la chasse. Le sanglier était visiblement sur ses fins. Il suivit la grande ligne pendant plus d'un kilomètre, passant à la Fontaine-St-Pierre, au Guar-Vern, au Lesprat et à la Refonderie, où commença l'hallali courant. L’animal fut servi par Emmanuel de Pluvié, qui, bien que renversé par le sanglier, avait pu lui porter le coup mortel… »