On sait qu’un chevreuil en bonne santé est un chevreuil qui a bénéficié, dès sa naissance, d’une lactation riche, donc d’une mère en pleine forme. On sait encore que les périodes de sécheresse printanière ont une influence négative avérée sur la qualité de la nourriture absorbée par les femelles, laquelle doit être : « riche en sève, au contenu cellulaire constitué d’eau, de sucres, de corps gras, et de protéines » (Dr F. Roucher), et par conséquent, sur le succès reproducteur des portées. Des faons chétifs deviennent des yearlings de faible corpulence, et leur croissance, jusqu’à l’âge adulte de 18 mois, ne rattrapera jamais le déficit de leurs premières semaines de vie. Le printemps 2024 s’est montré très pluvieux, ce qui n’est pas le cas de 2022 et 2023, et ces chevreuils chétifs pourraient bien être ceux issus de la reproduction de ces deux années, avec des cohortes de petites femelles ayant engendré des petits faons. A l’inverse, de beaux chevrillards sont signalés... qui ne sont autres que les faons nés en 2024, de chevrettes adultes en bonne santé.

 

Sommes-nous suffisamment curieux ?

Il est néanmoins regrettable que les chasseurs ne s’engagent pas dans une analyse plus fine des tableaux de chasse (pesées précises, mesures de la longueur des mandibules ou du métatarse, corps jaunes), seuls moyens à partir desquels on peut poser un diagnostic éclairé de la santé de la population d’un massif, et de mettre fin aux interrogations, certes légitimes, du monde de la chasse. En 2024, l’abondance des précipitations a favorisé un regain notoire de la végétation, en sous-bois comme ailleurs, ce qui rend le chevreuil plus difficile à lever, ou à détecter. Et quand il est surpris, il a tôt fait de perdre les chiens qui le poursuivent, trouvant quelque refuge pour se cacher, avant même de franchir la ligne des chasseurs postés. J’ajouterai enfin que le chevreuil n’est pas la priorité des équipes de traque et de leurs chiens, axés pour l’essentiel sur le sanglier, voire les grands cervidés lorsqu’ils sont présents. Le recensement des chevreuils qui passent à droite des chasseurs lors des battues, même s’il ne manque pas d’intérêt, ne saurait être un indicateur pertinent de la fluctuation des effectifs. Il révèle toutefois qu’à partir de fin décembre, les observations sont plus fréquentes. En fait, lorsque la neige et les intempéries ont tassé la végétation et que les arbres se trouvent entièrement dépouillés, c’est bien à ce moment-là que l’on multiplie les contacts avec les chevreuils.

 

En forêt, de moins en moins d’offre nourricière pour le chevreuil ?

Le PNFB 2016/2026 (Plan National de la Forêt et du Bois), dans sa partie visible par ceux et celles qui fréquentent les forêts, a engendré de nombreuses coupes afin de reconstituer les peuplements, notamment les pessières que les scolytes avaient ravagées. Les sols alors mis en lumière offrent un potentiel nourricier pour le chevreuil particulièrement attractif. Cependant, les modes sylvicoles vont à l’inverse, soustraire ces espaces à la fréquentation du petit cervidé. D’abord par une mécanisation à outrance (broyage, désouchage, andainage et autres opérations, mettant les parcelles à nu en toutes saisons), ensuite par l’engrillagement quasi systématique et hermétique des plantations suivant la préparation des sols. Mais hermétiques, elles ne le sont jamais vraiment. En revanche, elles restent sous la surveillance des agents spécialisés, chargés de les visiter régulièrement pour voir si un chevreuil n’y a pas élu domicile… et de faire le nécessaire : éliminer l’intrus d’une façon ou d’une autre... Contrairement au cerf, le chevreuil est un consommateur exigeant, qui ne fait pas de réserve de graisse pour affronter la période de privation hivernale. Pour lui, la seule solution naturelle est de modifier son comportement et son mode de digestion. En période hivernale, il se déplace peu, dépense quatre fois moins d’énergie qu’en été, mais il lui faut quand même entre 1 et 2 kg par jour de matière ligneuse et semi-ligneuse, qui sera assimilée après une fermentation lente, à seulement 15 % de sa masse. Privé de l’offre alimentaire des parcelles en régénération, où pourra-t-il bien trouver de quoi satisfaire son appétit ? Le long des chemins, des routes forestières, dans le taillis sous futaie, dans les coupes d’affouage et de bois de chauffage des petites parcelles privées de lisières, un potentiel limité donc et qui peut rapidement s’épuiser, conduisant les chevreuils à avoir faim, les chevrettes à perdre du poids et ainsi à diminuer leur succès reproducteur. Un phénomène qui pourrait par ailleurs expliquer la présence plus fréquente d’individus amaigris, et donc plus sensibles à l’invasion des parasites, et une certaine baisse des effectifs que certains massifs forestiers connaissent…