Le sanglier est une prodigieuse machine construite pour résister à tout. C’est une masse de muscles que rien n’arrête. A l’avant, les défenses aiguisées sont montées sur une tête étroite et profilée pour fendre le sous-bois buissonneux. Les épaules, porteuses des trois-quarts du poids total, sont blindées, et tout le train arrière est fait pour la propulsion de l’ensemble. Et comme le cou n’est pas mobile, le sanglier charge droit devant, d’un trait, ne laissant aucune prise. Lors des changements de saisons, ce monogastrique omnivore peut changer instantanément de régime alimentaire, et passer sans problème de la consommation de végétaux à celle plus carnée de rongeurs, de vers ou de charognes, grâce à ses diastases toujours en sécrétion. S’il s’adapte à la variété de son alimentation, il s’adapte également aux quantités disponibles. Faire de grandes réserves de graisse jusqu’à la porchaison, pour ensuite en profiter lors des périodes de disette sont dans sa nature même, « et que l’on se rassure, on n’a jamais vu en France un sanglier mourir de faim » rappelait souvent Gilbert Valet, spécialiste du sanglier à l’INRA, aujourd’hui disparu.
Coté reproduction
Le sanglier est également bien doté. La gestation est relativement courte, entre 113 et 117 jours, et les naissances sont nombreuses. Si les marcassins sont exclusivement dépendants du lait maternel pendant trois mois environ, ils sont bien plus tôt autonomes physiquement, et leur mimétisme les dissimule efficacement aux prédateurs. Ils sont d’ailleurs très combatifs quand ils se sentent pris. Animal physiquement supérieur sur le plan poids/puissance, le sanglier est en outre servi par un remarquable instinct, voir même « intelligence » diront ses plus fervents admirateurs. Son organisation sociale en témoigne, et on ne se lasse pas de l’observer au fil des saisons. La cellule de base est de type matriarcal, jamais figée, qui s’adapte en permanence selon les règles immuables de leur communauté. Les relations entre individus et entre familles sont très hiérarchisées. La communication est également élaborée, un simple grognement peut rassurer ou au contraire alerter le groupe. On le voit au gagnage, quand tout parait tranquille et que les jeunes se chamaillent joyeusement et bruyamment. Que l’un d’entre eux manifeste une inquiétude, et tout le groupe se fige instantanément. On peut les voir parfois décamper comme une volée de moineaux, mais, tant que la mère, forte de son expérience, reste calme, ce moment de panique ne sera pas suivi d’effet dans le groupe des adolescents. Cependant, si un adulte émet un grognement sec et soudain, il provoquera une fuite générale immédiate pour ceux qui peuvent courir, et plaquera dans une immobilité totale, les autres.
Comportement de la compagnie prise dans une battue
Dès la mise en place des chasseurs, c’est l’alerte générale. Chez les sangliers, aucun ne bouge et on écoute… pour localiser et identifier le dispositif mis en place. Le sanglier sait faire la différence entre les chiens de la ferme d’à côté, ou ceux des promeneurs, et ceux des rabatteurs. Au coup de trompe de début de traque, la situation est bien appréhendée par les bêtes noires. Ce sont les jeunes mâles qui seront sur pieds les premiers, alors que les laies auront tendance à se caler avec les marcassins et à attendre la décision de la meneuse. En règle générale, plus l’animal aura de l’expérience et plus il hésitera à sauter la ligne. Une technique courante utilisée par les troupes est de s’arrêter trente à cinquante mètres avant la ligne de fusils, dont ils connaissent précisément l’emplacement, pour observer et écouter. L’animal dominant décidera alors soit de rebrousser chemin dans le plus grand silence, ou de sauter la ligne, et, dans ce cas, toute la compagnie suivra. Cette technique de déplacement « en masse » est utilisée par de nombreuses espèces pour dérouter les prédateurs qui ont plus de difficultés à se concentrer sur une cible précise. C’est pour cette raison qu’il est si difficile d’éclater les compagnies et que le chasseur, qui est aussi un prédateur, aura pendant quelques fractions de seconde une hésitation, quelquefois suffisante, pour rater sa cible… mal acquise. Quant aux chiens qui le poursuivent, ils seront rapidement jugés, ce qui permettra à l’animal mené de régler son allure sur celle de ses poursuivants. Blessé ou au ferme, il vendra chèrement sa peau et il saura rester dangereux tant qu’une petite étincelle de vie l’habitera encore. Petit bémol malgré tout : ce que le créateur n’avait pas prévu, en construisant cette belle machine, c’est qu’elle serait un jour un enjeu financier qui rend fou ceux qui l’approchent. Mais ça, c’est une autre histoire…