Le gibier visé ce jour-là était le cerf élaphe, dont les puissants mâles, majestueux et rusés, peuplaient les sous-bois. Le rendez-vous avait été donné à l’aube, et après une brève prière, comme c’était la coutume chez l’empereur, les participants prirent place dans les miradors ou sur les lignes de tir, aux endroits assignés. L’empereur, lui, refusa une position avantageuse et préféra se poster à un carrefour de coulées, qu’il connaissait bien. Le signal de départ fut donné par les cors de chasse, les chiens furent lancés et les rabatteurs commencèrent à pousser lentement le gibier vers les lignes de tir. Le silence de la forêt fut bientôt brisé par les récris des chiens, le fracas des sabots sur les feuilles mortes, et du bois cassé. Peu après, un jeune cerf surgit à une cinquantaine de mètres de l’empereur. D’un geste précis, il épaula, visa calmement, et fit feu. Le coup porta juste, l’animal s’effondra dans une glissade silencieuse. Mais le moment marquant de cette journée vint une demi-heure plus tard. Un vieux dix cors, superbe et rusé, contourna la ligne des rabatteurs et surgit derrière l’empereur, à contre vent. Le garde-chasse qui l’accompagnait tenta de prévenir le souverain, mais François-Joseph avait déjà perçu le craquement des branches. Dans un mouvement rapide, il pivota, épaula de nouveau son fusil, et tira deux coups en succession. Le premier atteignit l’épaule de l’animal, le second, quasiment simultané, toucha au cœur. Le cerf, tué net, tomba sur place. Ce tir double, effectué avec une rapidité et une précision remarquable, fut immédiatement salué par les gardes présents. L’empereur, comme à son habitude, resta impassible, mais on dit qu’il caressa la crosse de son arme, un sourire discret au coin des lèvres.

 

Un tableau inattendu...

À la fin de la journée, la battue comptabilisa près de 80 pièces de gibier : daims, sangliers, et une dizaine de cerfs. François-Joseph, malgré la présence de nombreux invités, avait lui seul abattu 14 animaux, tous d’un tir net. Le vieux dix cors, qui fut estimé à plus de 15 ans, entra dans les annales des chasses impériales. Son trophée fut monté et exposé à Bad Ischl, la résidence d’été favorite de l’empereur. Ce jour-là, au souper servi dans la grande salle du château de Konopiště, l’empereur, comme toujours, mangea sobrement et resta silencieux. Mais son entourage notait, dans ses gestes mesurés et son regard vif, la satisfaction profonde d’un devoir accompli, non pas envers l’État, mais envers lui-même, et cette nature qu’il respectait tant. François-Joseph poursuivit ses campagnes de chasse jusqu’à un âge avancé, et la légende raconte qu’il aurait abattu plus de 50 000 pièces de gibier au cours de sa vie. Mais, plus qu’un chiffre, c’est son sens du rituel, son respect de la forêt, et sa passion des armes précises et bien conçues qui marquèrent ses contemporains.