Un cœur… pour un marchepied
Ainsi, toute la vie de René de Martimprey fut calée sur la cavalerie et la vènerie. En 1902, il s’engage au 27e Dragons qui était en garnison à Versailles. A la fin de son contrat, il quitte l’armée avec le grade de sous-lieutenant. Il s’éloigne alors de la région parisienne pour le plateau jurassien, où il gère, avec son père, le domaine de sa mère à Mérona. Il sera même élu maire de ce village de 1919 à 1925. Il y chasse avec l’équipage de son oncle, Paul de Mérona, le lièvre et le renard. Chasses de province loin des fastes évoqués pour la grande vènerie du comte de Valon. Mais, c’est la déclaration de guerre… En août 1914, il reprend du service dans les Dragons. Il combat à pied et à cheval et est brillamment annoté par le capitaine Danloux, après une marche de nuit de 100 km. Il revint de la guerre avec trois citations, la Croix de guerre et la Légion d’honneur, après avoir été gazé et frôlé la mort en fin d’année 1918. La guerre de 1939 lui fait encore reprendre du service avec, cette fois, le grade de lieutenant-colonel, responsable des remontes du dépôt de cavalerie de Saint Germain en Laye. C’est donc entre ces deux guerres qu’il occupe ses loisirs à écrire des livres de chasse et vènerie. Bouton, avec sa femme, de l’équipage de chevreuil Marochetti, il puise dans son expérience la pâte de son œuvre. Ce sont des historiettes finement dessinées, où l’ambiance des chasses est magnifiquement rendue. Comme il l’indique dans l’avant-propos de la Vènerie contemporaine anecdotique, il se met à l’école du marquis de Foudras. Reprise du même titre pour conter heurs et malheurs d’une quarantaine d’équipages, grands et plus modestes. Au hasard de la lecture, un article sur « Se méfier du change », où l’on apprend la mésaventure de M. de G. qui, à l’issue du repas de chasse, attendait sa femme sur le siège du landau, pour y fumer son cigare. Le valet de pied fit claquer le marchepied en le remontant, et croyant la dame à l’intérieur, l’attelage démarra. Mais la dame n’était pas là et se vit contrainte de profiter de la voiture d’un voisin, M. Jadin, fils du peintre de la Vènerie Impériale. Pour se préserver du froid, ils furent obligés de se rapprocher, et s’en trouvèrent ma foi si bien, que tous deux, tendrement enlacés, vingt ans après poursuivaient ce voyage, tandis qu’un mari patient, attendait toujours leur retour… Est-ce pour cette raison qu’une vignette représente un amour, l’arc tendu vers une cible inconnue, assis dans une trompe qui lui sert de balançoire ? On y croise également des silhouettes encore anonymes, qui deviendront des célébrités comme Philippe de Hautecloque, futur maréchal Leclerc, à cette époque bouton de l’équipage familial Rallye Scaron.
La renaissance impossible des équipages
Certains équipages, décimés par la guerre, ne purent se relever. C’est donc un mémorial utile pour comprendre la vènerie de l’entre-deux guerres, un reportage vivant dans la France des halliers et grands bois, où les chevaux comme « Boulotte la ponette qui botte le sanglier », chiens et bêtes d’attaque sont à l’honneur. C’est aussi la grande époque des artistes et écrivains qui se côtoient avec une saine émulation : Vibraye, Karl Reille, Xavier du Poret, la marquise de Noailles… Ils apporteront leur sensibilité de peintre pour illustrer les œuvres. Mais René de Martimprey puise aussi dans l’histoire familiale pour le second volet de « Drames de chasse et d’amour », édité en 1929. Ce dernier opus a pour cadre géographique la Franche-Comté, et pour période historique, la Terreur de 1793. C’est l’époque où les loups de la Convention sèment plus la terreur que les loups des forêts. La première nouvelle place en exergue les amours impossibles de deux amants platoniques, dont l’un meurt d’un coup d’andouiller. Puis, en reprenant le cadre de la vénerie des princes, Martimprey établit une filiation directe à travers les siècles, entre toutes ces formes de chasse. « Au retour de la chasse » rassemble huit nouvelles publiées en 1931. Pour le chasseur rompu de sa journée en plein air, il faut des textes courts, à lire aisément avant de s’endormir. Pourquoi y mettre en tête le fidèle « La Trace » et son vieux limier Galandor ? La vènerie du dernier des Condé, pourtant à son apogée, fut dispersée sous le marteau des ventes, mais la chasse ne sombre dans le néant qu’après chaque désastre, pour en renaitre, tel un phénix, et reprendre de plus belle. La chasse n’est–elle pas éternelle ? Les marquis de Fréhault et de la Croix Nibert récupéreront les terres hypothéquées par un usurier, s’ils suivent une chasse en selle, la trompe à l’épaule à l’anniversaire de leur « cent ans ». Et bien banco ! Les hypothèques seront brûlées… Quelle chute optimiste dans ces derniers mots : la Vènerie en avant !
Des éditions rares
« Contes de vènerie » sort des presses en 1926 avec des illustrations de Karl Reille. C’est un ouvrage très rare dont l’édition fut épuisée dès sa parution. Puis, c’est l’édition du « Carrefour du Grand Maître », en 1934, avec toujours des illustrations de Xavier du Poret. Là, nous sommes dans le centre de la France, en forêt de Meillant, sur les terres du marquis de Beauclaire. Apparaissent aussi, Henri Picard, le chasseur du village avec son brave limier Rustaud. Enfin en 1941, parait « Sous l’égide de Saint Hubert » avec huit planches d’illustrations hors texte, toujours de Xavier du Poret. Les tirages restreints (autour de 500 exemplaires) de ces ouvrages, en font des objets rares mais passionnants à lire. Remarqués par des prix de l’Académie Française, ils sont d’un style irréprochable et indémodable. René de Martimprey sait respecter les merveilles de l’espace et de lumière qui structurent la nature. Pour reprendre une expression de Anna de Noailles « il tient l’odeur des saisons entre ses mains… ». Durant cette période de l’entre deux guerres, il réside à Pontoise, ce qui lui permet de suivre les chasses du Rallye Marochetti, qui, de 1924 à 1936, découple sur le chevreuil dans la région de Vaux sur Seine, Dangu et Gisors. Et après cette riche vie d’écriture, il décède en 1950 à Verneuil. C’est la raison pour laquelle Christian de La Verteville utilise, à six reprises, des anecdotes extraites de son œuvre. Dans « Eclats du cor », paru en 2009, les textes sont enchâssés dans des reproductions qui illustrent avec brio l’aventure retenue. Pour reprendre une image de cet auteur, n’attendons pas les trompes du jugement dernier pour nous plonger à nouveau dans sa prose si évocatrice des fastes de la chasse.
Extrait : Trois sangliers d’affilée
Vous pourriez supposer, chers lecteurs, devant ce titre énigmatique, que mettant fusil sur l’épaule et chevrotines dans les canons, je vous conduise par ces lignes, en bordure d’une rangée d’affûts. N’en croyez rien, cependant, l’exception confirmera la règle. Sautons en selle et galopons… Or donc, convié par un gentil ménage, c’est en Bourgogne que j’assistai aux prouesses du même équipage, réussissant à sonner trois fois l’hallali entre midi et minuit. Permettez qu’en notes rapides, circonstanciées et véridiques, je transcrive à votre intention les feuillets de mon memento : « Mardi 23 novembre 1926, le comte de B… découple son vautrait en forêt de C… A cheval, portant habit bleu à parements coq de roche, trompe en sautoir, dague à la hanche, deux hommes de bonne tournure, fils et petits-fils de piqueurs : Davaille, chef d’équipage, et Lassausse, son second. A pied, toque et fouet à la main, suit Saute au Bois, infatigable valet de chiens. Une cinquantaine de bâtards poitevins et quelques griffons à la harde, forment un ensemble des plus plaisants. Temps légèrement couvert, vent d’ouest, pluie probable pour le soir, mais qu’importe… Assistance gaie et sympathique… ». Par cet aperçu sommaire, j’ai voulu vous convaincre qu’en forêt de C…, pour forcer régulièrement, il faut une meute entreprenante, ardente et persévérante, une meute qui chasse hardiment sans l’aide du piqueur, des chiens canailles, enfin comme se plait à le dire, avec un léger sourire, notre maître d‘équipage, nullement désolé au contraire de voir ses vaillants bâtards ne redouter ni cris ni fouet, quand un quidam mal avisé cherche à les arrêter. L’envers de ces qualités et l’extrême difficulté des lieux peuvent amener quelques légères confusions, et c’est sans déshonneur, dans ce clapier à sangliers, que l’on entend parfois résonner deux ou trois fois les abois lorsque les chiens, de meute à mort, ont été découplés sur une compagnie égaillée. L’histoire suivante en sera la preuve…
« Stat sua cuique dies »
Par cette belle journée de novembre, l’équipage s’en alla découpler… à contre-cœur assurément, dans un canton diabolique, sorte de dépression chaotique, creusée par quelque démon ennemi des veneurs et des chevaux. La combe dont nous parlons est marécageuse dans ses fonds, rocailleuse sur ses pentes, dénuée de chemins ou de sentiers, fourrée partout d’épines noires… Quand nous fûmes parvenus à l’orée de l’entonnoir, Davaille, sans grand enthousiasme, nous montra sa brisée marquée sur le terrain labouré de volcelets et de boutis. Je me demandais, en mon for intérieur, si tous les sangliers de la région ne s’étaient pas rembuchés dans cette retraite solitaire. Aussi, sans hésiter, à beau bruit et lestement, on découpla de meute à mort. Alors, réveillée en sursaut par les accents puissants des trompes, par les cris perçants des veneurs, par la rumeur des chiens dévalant la pente, la compagnie de sangliers s’ébranla au galop dans un fracas épouvantable. Cependant, après trois bons quarts d’heure de cette chevauchée homérique, deux sangliers harcelés sans répit par la meute se séparèrent enfin de leurs innombrables confrères. L’un, bon ragot de 150, nous entraîna sur M… avec la moitié des chiens qu’appuyaient énergiquement Davaille et son vaillant patron. Le second, énorme solitaire, prenant la combe à revers, piqua sur G… V…, houspillé par le reste des chiens et par Lassausse qui, surveillant le débucher et ne pouvant entendre l’autre menée dans le ravin, sonnait appels et bien-aller à s’en faire crever les poumons. Protestez-vous encore, cher Monsieur, qui n’admettez le découpler que sur un animal isolé ? Sachez que notre ragot, étouffé par le train des 25 Anglo-poitevins qui lui talonnaient les jarrets, tint tête assez rapidement, et qu’une balle au coin de l’oreille, envoyée à bout portant, termina brutalement son destin. « Stat sua cuique dies », ainsi, s’exprimait Virgile pour dire que « chacun, humain ou sanglier, a son jour fixé ». Il était donc environ deux heures quand nous sonnâmes le premier hallali.
Et de deux !
Or, pour des chasseurs ardents, toujours prêts à faire le bien, pour des veneurs sachant que la moitié de leurs meilleurs chiens, dont Rataplan et Giroflée, ne bagnaudaient pas en forêt, c’eut été infâmant de rester dans l’inaction. Aussi, confiant notre ragot à la garde d’un bûcheron, nous remontâmes vivement en selle, et grâce à la décision du maître d’équipage, partîmes rondement pour G… V…, comptant sur la Providence pour nous faire retrouver, malgré le retard et la distance, une seconde chasse présumée. Au cours de cette randonnée, l’excellent et puissant hunter, que pour cette belle journée Monsieur de Brotonne avait aimablement confié, s’en allait, l’encolure longue, à grandes foulées cadencées, auprès de « Vigilante », petite jument anglaise finement musclée, célèbre dans la Bourgogne sous son élégant cavalier, Armand de B… « Quel train d’enfer » murmurai-je enfin, par pitié pour mon cheval d’emprunt. Mais faisant taire mes scrupules, mon compagnon m’affirma, tout en forçant l’allure, que les chevaux de l’équipage en avaient vu bien d’autres et qu’au surplus, nous n’aurions pas de renseignements sur la chasse que nous cherchions avant d’avoir atteint le « point de mire ». De fait, parvenus à ce lieu de passage situé en bordure d’un petit débucher, que les animaux chassés traversent neuf fois sur dix, nous fûmes accueillis par nos compagnes, arrivées en automobiles. De loin, elles faisaient de grands signes, agitant frénétiquement leurs cannes de chasse et leurs écharpes, et témoignaient très gentiment leur légitime désappointement de nous voir arriver si tard. « Il est passé depuis trois quarts d‘heure » s’écrièrent-elles à notre approche. « Il est énorme ! Nous l’avons vu… tenez, là, au coin des haies ». Et l’une de ces dames précisa même, enthousiasmée, que ce monstrueux animal pesait au moins 420… Entr’actes charmants que ces haltes, où, dans l’émoi de la passion, les joues rosies par le vent frais, les yeux ardents, le cœur en liesse, nos émotives Dianes chasseresses donnent libre cours au flot limpide de leurs trouvailles pittoresques… Nous nous lançâmes éperdument sur les traces du solitaire. C’était, au demeurant, un robuste animal qui se fit chasser dur et ferme, jusqu’à la fin de la journée. Terriblement armé pour la course comme pour la lutte, il arpenta d’abord, à une allure désordonnée, l’immense massif en son entier. Puis, il rusa dans les marais, se forlongea dans les combes, donna au change, et prit une telle avance que, bien loin en arrière, sur nos chevaux fourbus par deux chasses successives, nous pensions tristement qu’on ne le verrait plus. La pluie menaçante s’était mise à tomber, et le spectre de la défaite grimaçait devant nous, quand soudain, une fanfare de triomphe arrivant du lointain, ranima nos espoirs défaillants. Par surcroît, l’appel de la trompe annonçant la victoire venait du Val des Moines, cirque majestueux où dorment sous la pierre d’un cloitre centenaire, les pieux solitaires qui jadis édifièrent dans la combe silencieuse, cet asile de paix, de calme et de prière. Contraste saisissant, que cette fin de chasse, ces cris et ce tumulte dans l’austère retraite, rendue plus solennelle encore par les ombres du soir, qui lentes et mystérieuses, descendaient par degré des grands bois d’alentour jusqu’au fond de la clairière. Or, le brave Lassausse, car c’était lui qui sonnait l’hallali, avait été assez heureux pour ne pas lâcher prise, depuis l’attaque jusqu’à la fin, et ses 25 bons chiens auxquels il avait rallié toute la meute, entouraient maintenant le grand vieux solitaire qui, refusant de prolonger la course, s’était acculé contre le monastère, pour mieux livrer bataille. Conscient de sa force, rendu furieux par les clameurs assourdissantes qui l’environnaient de toutes parts, le terrible adversaire, les soies hérissées, l’œil injecté de sang, s’élançait au hasard contre quiconque, homme, cheval ou chien, l’approchait de trop près. Puis, pour reprendre haleine, il revenait à la faveur de l’ombre contre les éboulis du vieux mur de clôture, rempart inexpugnable dont émergeait seulement sa hure monstrueuse. Alors, la meute terrifiée et muette pendant la charge meurtrière, accourait à nouveau et, à pleine gorge pour s’enhardir, emplissait la vallée de ses abois sonores. Silences impressionnants, clameurs sourdes et profondes qui sont, pour le veneur, sources d’émotions intenses. Alors, le vaillant second, n’écoutant que son courage et estimant qu’il lui, revenait l’honneur de terminer la tâche, s’avança, au péril de sa vie, pour tenter et réussir le coup de dague.
« Hallali mes toutous » clamait la chasseresse…
Après une longue retraite sous la pluie pénétrante, nous arrivâmes enfin au château de R…, où la double curée, éclairée par les phares et célébrée par les accords de trompe, termina cette journée, tour à tour enivrante, angoissante, et au surplus, à jamais glorieuse pour le brave équipage. Mais, lorsqu’on se retire pour jouir enfin d’un repos bien mérité, les oreilles bourdonnantes encore au souvenir pathétique des événements vécus, quelques chiens enragés chassaient encore dans la nuit sombre. Chiens de relais qui, donnés sur le tard, trouvaient sans doute que la fête, pour eux, avait été trop courte ? Donc, il était bien tard lorsque rêvant au coin du feu, j’entendis tout à coup, à ma stupeur profonde, une sourde rumeur. Confuse, tout d’abord, elle allait grandissante, puis une voix féminine dominant le tumulte annonça sans ambage ce dont il s’agissait : « Hallali, mes toutous, s’écriait la chasseresse, Hallali ! Hallali ». Sur le ton le plus pur de vieille vènerie, toute une suite d’apostrophes, de cris, d’épithètes, s’envolaient de ses lèvres, harcelant hardiment quelque animal farouche qui tenait tête assurément. Bondir sur ma trompe fut l’affaire d’un instant, mais, lorsqu’en toute hâte, j’allai appeler à l’aide, un ronflement puissant, sonore et cadencé se mêla au concert commencé. Puis, un éclat de rire lancé à toute volée annonça au château, réveillé en sursaut, qu’une charmante jeune femme, dans ses rêves agités, avait pris son mari pour un vieux sanglier. Quoi qu’il en soit, les douze coups fatidiques sonnant à la pendule, c’est ainsi qu’en Bourgogne, Messieurs les incrédules, j’entendis par trois fois résonner l’hallali, entre midi et minuit !