Revenu d’Allemagne où il avait été retenu prisonnier, le Jean, un solide gaillard bâti comme un roc, avait repris le travail dans sa ferme. Il fallait tout remettre en état, retrouver un cheval, les outils dispersés et… retrousser les manches ! Tout avait beaucoup changé au village avec la venue des Américains. Les enfants, en galoches, enveloppés dans leurs pèlerines, guettaient chaque passage de jeep pour ramasser, en cachette de leurs parents, les chocolats et les chewing-gums que leur jetaient des soldats rigolards. Elle était insolite cette époque, avec d’un côté un monde éprouvé, usé, qui devait se reconstruire, et de l’autre, une jeunesse insouciante, qui ne pensait qu’aux filles et à la gaudriole. Pour ceux qui s’en souviennent encore, les années qui ont suivi la libération ont été terribles et aggravées par des hivers longs et rigoureux. Dans une France qui manquait de tout, les ruraux semblaient, malgré tout, privilégiés par rapport aux citadins. Les chènevières produisaient de précieux légumes et les affouages permettaient de se chauffer dès les premiers grands froids, la combine permettant de trouver le reste. Pas un lopin de terre n’était disponible dans ce pays qui avait appris les privations et l’autarcie. La chasse redevenait une activité autorisée et, après 5 années d’interdiction, les vieux fusils sortaient de leurs enveloppes graisseuses, elles-mêmes sorties des cachettes aménagées sous les planchers ou dans les charpentes des bâtiments. Inutile de préciser que ces années de stockage clandestin avaient eu raison du plus robuste métal et que, bien souvent, le pitoyable état ne montrait que des canons piqués, attaqués en profondeur par une rouille tenace, voire quelquefois percés ailleurs que sur leurs extrémités. Pour ces derniers, le sort en était jeté, mais pour les autres, la méthode souveraine pour les remettre en état consistait en un bain de pétrole et une application d’huile fournie par les Américains. Ainsi “rénovée”, la pétoire reprenait du service, comme une neuve… ou presque.
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