Pour une fois, faisons éclater les frontières et envisageons l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural… Tourgueniev a mené trois vies. Tout d’abord, celle du boyard au milieu de ses terres, qui, le matin, va tirer trois bécasses et un coq de bruyère. Puis celle du mondain qui réside en villégiature à Baden-Baden, avec chasses, casino et courses hippiques. Enfin, celle du Parisien qui prend le bon air de la campagne chez les Viardot. En 1818, nait Ivan Serguéïvitch Tourgueniev, à Orel dans la Russie du sud. Il appartient à une vielle famille noble, dont l’origine tatare se lit dans son blason : un croissant mahométan et une étoile d’or sur fond d’azur. Sa formation le fait s’asseoir sur les bancs des universités de Moscou, de Saint-Pétersbourg, puis de Berlin. De 1843 à 1858, ce gentilhomme, beau et de grande taille, charmant causeur, fera de fréquents allers et retours entre sa patrie et le reste de l’Europe. Jusqu’à ses derniers jours, il reste, dans le portrait qu’en dresse Guy de Maupassant, un géant avec une vraie tête de « fleuve épanchant ses ondes ». La censure du tsar surveillait ces aristocrates plus européanisés que nécessaire et le mettra en résidence surveillée dans le domaine familial de Spasskoïe, au motif d’un article jugé tendancieux sur la mort de Gogol. Européen acquis aux idéaux libéraux, Ivan Serguéïvitch Tourgueniev délivre en 1859, deux ans avant la décision du tsar Alexandre II promulguée en 1861, les serfs attachés à son domaine. En effet, il craint que le couvercle trop hermétique de la politique tsariste ne fasse exploser la société russe, essentiellement rurale…
Par Louis-Gaspard Siclon