Pour ses 16 ans, son père lui offre son premier fusil, un modeste calibre 24 qu’il gardera fidèlement tout au long de sa carrière, et son premier chien, le fameux « Arrêt ». Dès 1804, il commence donc sa carrière cynégétique dans cette France qui vit une période plus calme, après les guerres de la Révolution et de l’Empire. A cette époque, les notables qui se doivent d’appliquer la devise : « au bois comme à table » (beaux tirés, belles chasses et bonne table) font donc appel à lui. Il faut repeupler les forêts qui avaient été vidées de leur gibier par les armées et la carrière de Jacques-Antoine, à l’exception d’une pointe en Allier, se déroule entre Sedan et Reims au service des meilleurs maîtres d’équipage de la région, des meilleurs fusils, et des lieutenants de louveterie dont Eugène d’Imécourt, Monsieur de Boullenois et Auguste Gérard de Melcy. L’auteur anonyme d’un compte-rendu de chasse, sous le titre « Un déplacement au château de Viels-Maison », qualifie Clamart « d’inventeur moderne de cette manière de chasse aux matins ». Léon Bertrand, rédacteur du Journal des Chasseurs, se réjouissait d’avoir participé à ces chasses où Clamart assistait M. de Boullenois, un des meilleurs et des plus intrépides chasseurs des Ardennes, et toutes ces sorties étaient sonnées par Tellier, grand professeur de trompe, sans rival dans son art. Jacques-Antoine Clamart décède le 3 juin 1867 à Raucourt et Flaba, chez l’aubergiste Frenaux.

 

Quand vous « achevalez » votre sanglier…

On peut imaginer sans peine que les chalands de cette auberge devaient suivre les prouesses narrées par le vieux chasseur. Mais, l’essentiel est dans son ouvrage. La pratique forestière clôt le livre sur 15 pages, et le dernier paragraphe traite des atteintes du gibier dans la forêt, phénomène toujours d’actualité. La première édition du livre est datée de 1854, et dans la foulée, M. de Cherville, grande autorité en la matière, en donne une longue analyse dans le Journal des Chasseurs. Suit une autre édition en 1866, remaniée. C’est la meilleure avec ses souvenirs plus personnels et ces pages vivantes pleines de sel qui font le charme de la chasse. Une troisième édition est mise en vente en 1879 avec 43 fanfares, dont la première est le « Réveil-matin », suivie des fanfares de circonstances, d’animaux et de lieux. Le plan adopté analyse les principes généraux, les agents de la chasse (chasseur, personnel, chiens), la chasse aux chiens courants sur les nuisibles (sanglier, loup, renard, blaireaux et autres), sur le gibier à poil (cerf, chevreuil, daim). La chasse au chien d’arrêt et la chasse au marais terminent cette étude. Le style en est très simple, comme la lecture d‘un mode d’emploi. Dans son introduction, Clamart annonce clairement son objectif : « non de la théorie, mais à ce que j’ai vu » et il précise qu’il s’est fait aider pour la rédaction. Il néglige les auteurs qui ont une méconnaissance générale des habitudes du gibier, et à titre d’exemple, il égratigne Magné de Marolles qui, à la vue de deux robes dans les pelages du chevreuil, en déduit à l’existence de deux variétés. « Que non, rétorque Clamart, vous confondez simplement le pelage d’hiver et le pelage d’été ! ». Peut-être est-ce la raison pour non-respect du vocabulaire ancestral de la vènerie, qu’un certain M. de Madières, qui ne semble pas avoir laissé de trace dans l’histoire de la vènerie à l’exception de cette algarade, s’en prend à lui : « Ô, malheureux écrivain, qui utilisez oreille alors que notre bête de vènerie possède des écoutes… etc, etc ». Certes, mais quand vous « achevalez » votre sanglier, avez-vous le temps de respecter le vocabulaire ? En effet, pour servir sans danger le sanglier, la technique préconisée par Clamart fait dans la simplicité. « Non, je n’admets pas ce langage ni ces termes dans la bouche ou sous la plume d’un veneur » admoneste notre puriste dans le journal « La Vie à la campagne » de 1861. Cherville, en habile avocat, sous l’encens de sa plaidoirie, fait gentiment rimer puriste et cuistre. Clamart n’est point littéraire, et la forme est le moindre de ses soucis…

 

Une encyclopédie cynégétique à lui seul

Que de renseignements précieux, pour ceux qui veulent chasser à peu de frais et peu de bruit, le fusil au poing, escorté de trois ou quatre chiens pour tout équipage. Pas d’effet oratoire, pas de forfanterie quand Clamart détaille son palmarès et sa consommation de poudre : plus de 51000 pièces, dont 1270 renards, 420 loups et 650 sangliers dont le plus gros accusait 400 livres sur la bascule. Clamart tire, à juste titre, un sentiment de réussite pour avoir formé chiens et successeurs. Ce sont les paragraphes 3 et 4 qui détaillent la production, l’élevage et le dressage des chiens. Pas de grandes lignées de chiens courants au pedigree long comme un jour sans soif. Clamart part du chien de pays, aux origines souvent inconnues. Quelques temps après, ce chien devient bon devant le sanglier ou remonte une piste de sang pour aider à la conclusion de la journée. Il cite au champ d’honneur « Raton », un demi-carlin bon sur le sang et le loup, « Carreau », un chien d’arrêt d’origine anglaise. Il ressuscite, lorsqu’il est en poste chez Emmanuel d’Imécourt, le mâtin, chien lourd, descendant du vautre, à l’origine des meutes de sangliers. Clamart adopte le précepte de messire du Fouilloux : « … si l’on met des colliers chargés de sonnettes au col des chiens courants, il ne les tue pas si tôt, mais il s’enfuira devant eux sans tenir les abois ». Moins de musique, moins de casse et avec l’aide de « fusillots », plus de résultat finalement car la chasse au sanglier, terreur du laboureur, doit être une réussite. En formant trois meutes à base de chiens normands, chez M. d’Imécourt, et le personnel pour les servir, Clamart a rempli son contrat. Depuis les éditions du 19e, Clamart a suscité d’autres tirages de luxe. En 1968, une édition illustrée par Jean de Conny précédait une publication avec 17 vignettes de Jean Commère et préface de Maurice Genevoix. En 1984, sous les presses de Tartas Editeur, sortait un ouvrage illustré par Steilen. Tout ce travail d’imprimeur montre l’actualité de cet auteur qui conserve ses lecteurs. « Malgré mes 77 ans et mes infirmités, résultats de bien des fatigues, mon plus ardent désir est de continuer à chasser jusqu‘à mon dernier jour… ». Souhait distribué à tous les lecteurs de ces pages et que ce vœu accompagne chaque disciple de Saint Hubert.

 

 

 

Extrait

Une chasse ardennaise

 

Je m‘occupe d’abord de la chasse du sanglier, parce qu’elle est, selon moi, la plus intéressante de toutes, ne fût-ce qu’à cause des dangers qu’y courent les chiens et les chasseurs eux-mêmes, mais seulement quand il leur manque l’expérience, le sang-froid et la prompte décision, car moi, qui en ma vie ai bien tué, soit à coups de fusil, soit de mon couteau de chasse, trois cents sangliers dont beaucoup étaient très redoutables, je n’en ai cependant jamais été blessé. Quand je voyais qu’un gros sanglier arrivé sur ses fins, allait devenir dangereux pour mes chiens, voici comment je m’en débarrassais. Si, blessé, il prenait encore la fuite devant les chiens en faisant ferme de temps en temps, je lui tirais mon premier coup à balle en dessous de l’épaule. Si fortement blessé, il ne pouvait plus prendre la fuite et néanmoins était encore trop dangereux, je m’en approchais avec précaution, et je le tirais sous l’oreille. Souvent, alors, il me chargeait moi-même, et je le tirais au front, mais si je jugeais qu’il n’était plus dangereux, je commandais à mes chiens de le coiffer. Dés qu’il l’était, passant bien vite derrière lui, je l’achevais d’un saut, saisissant en même temps ses deux oreilles, et puis l’échappant de ma main droite, je le saignais à la gorge avec mon couteau–poignard, comme on fait pour un cochon. Une fois qu’on est sur le sanglier, il ne peut plus blesser comme si l’on était à côté. Tout aussitôt la mort, je coupais les suites, parce qu’autrement le sanglier n’aurait pas été mangeable, et puis je faisais la curée. Après cela, je devais immédiatement m’occuper des chiens blessés. Souvent, j’ai vu avec admiration et pitié ces pauvres bêtes, les boyaux sortis du corps et pendants jusqu’à terre s’acharner encore au sanglier. Les vieux chiens blessés se laissent opérer et panser sans faire un mouvement. On dirait même qu’ils vous remercient. J‘ai pour cela toujours sur moi ma trousse, du fil et du linge. Je me sers même parfois de mon mouchoir si le chien est fortement décousu. La curée doit être faite aussitôt après la mort du sanglier. On coupe ses suites quand il trésaille encore, c’est la première opération. On le fend en deux longitudinalement sur le ventre pour en extraire le foie et le reste des intestins qui ne doivent plus y rentrer. Le corps doit être parfaitement nettoyé pour que la venaison soit bonne, quand même il s’agirait d’un vieil animal. Le sanglier passe sa journée dans le plus épais des forêts, préférant les lieux humides au milieu desquels il établit sa bauge qu’il quitte le soir ou seulement dans la nuit, pour aller en forêt ramasser des fruits sauvages, fouiller des racines et vermiller. Bien souvent aussi, il sort la nuit, plus ou moins tard selon les saisons, pour se jeter dans les récoltes qu’il ravage sans ménagement. Alors, c’est un animal véritablement malfaisant qu’il faut détruire par tous moyens. Si la nourriture lui manque dans un pays, ou bien s’il s’y sent trop poursuivi, il passe à un autre souvent très éloigné. Seule de toutes les femelles des animaux, la laie chassée ne retourne pas à ses marcassins. Ce sont ceux–ci qui, si jeunes qu’ils soient, vont la rejoindre en prenant sa piste dès qu’ils n’entendent plus le bruit de la chasse. Je suis certain de ce fait étrange, pour l’avoir, bien des fois, remarqué. Il faut donc rester au poste où la laie est passée, pour y attendre les marcassins. Chaque fois que l’enceinte peut être entourée par les chasseurs, si l’attaque a eu lieu sur une troupe de bêtes de compagnie, elles éventent les chasseurs. Quelques-unes et quelquefois même une seule, sont suivies par les chiens, mais une demi-heure après que l’enceinte est vidée, le reste de la troupe se rallie suivant la direction de la chasse. Lorsque le temps est sombre et mauvais, ou le vent violent, ou quand il y a des rafales de neige sur le bois ou une pluie abondante, les sangliers font ferme à chaque instant. Les fermes sont au contraire d’autant plus rares que le temps est calme et serein. Le chasseur qui va au ferme doit toujours appuyer ses chiens pour leur donner confiance d’être secourus. Il faut toujours tirer au ferme le sanglier, quand il se retourne, au défaut de l’épaule, dans les côtes supérieures. S’il charge sur vous, il faut lui planter la balle entre les deux yeux.

 

La chasse avec des mâtins

Les mâtins n’ayant pas le nez des chiens courants, il faut avec eux remettre de tout près pour attaquer. L‘enceinte étant entourée, le piqueur y entre pour appuyer ses mâtins et leur donner confiance, car, s’ils ne se sentaient pas forts de la présence et de l’appui de leur maître, bien souvent, surtout quand ils savent qu’ils ont affaire à un gros sanglier, ils n’attaqueraient que timidement et même pas du tout, parce qu’ils redoutent naturellement l’animal. Les plus gros chiens ne sont pas toujours ceux qui s’affranchissent de cette terreur, je dirai même que ce sont les petits qui, dans les endroits les plus dangereux, soutiennent les gros, parce que les petits, quand ils se voient chargés, trouvent plus facilement retraite. Mais, il est bon d’avoir les uns et les autres… Les mâtins sont en général des chiens de garde de bêtes à cornes, ce qui les a accoutumés à la hardiesse et à mordre. On ne les découple qu’après l’attaque par les corneaux ou métis de chiens courants, parce qu’ils ont peu de nez, mais c’est sans hésiter qu’ils suivent le sanglier lancé. S’il fait ferme, ils le coiffent quand ils se sentent soutenus par le piqueur. Cependant, aux corneaux et aux mâtins, il est bon de joindre des roquets, surtout des carlins bâtards, espèce hargneuse et méchante. Au ferme dans les endroits fourrés, ils sont plus de retraite que les gros chiens même, et ils les soutiennent. C’est la réunion des corneaux, mâtins et des roquets qui constitue la vraie, la bonne chasse du gros sanglier. Les mâtins ne fournissant guère de voix, il faut toujours poster des tireurs à l’enceinte. Cependant, s’il y a quelques tireurs de trop, on fera bien de les placer en deuxième ligne au grand passage où ils se tiendront en attendant comme je l’ai déjà dit. Un valet doit également se tenir à quelques pas de la brisée pour découpler, dès l’attaque, les chiens non affranchis. Les mâtins bien dressés profitent du passage de la bête dans les parties claires de la forêt, pour la saisir aux oreilles, ou aux testicules, seuls endroits par lesquels on peut l’arrêter. Souvent, le sanglier dans sa fuite fait ferme et repousse les chiens, jusque sur le piqueur. S’il s’agit d’un sanglier dangereux, le piqueur n’a pas à exposer inutilement la vie de ses chiens. Il faut qu’il arrive au plus vite pour les soutenir, qu’il tue le sanglier et de suite qu’il en fasse curée. C’est cette curée qui est la récompense des chiens, et si on la leur donne franchement, ce sera les encourager à se conduire de mieux en mieux dans les nouvelles rencontres. Il m’est arrivé bien souvent, ayant perdu la chasse, de retrouver mes mâtins qui, comptant sur moi et sur la curée, faisaient ferme depuis deux heures. Aussitôt qu’ils me voyaient, ils s’élançaient et je tuais. J’avoue que cette chasse aux mâtins est dédaignée par les chasseurs des grands équipages, qui même l’appelle un braconnage. Mais nos chasseurs ardennais l’aiment bien, parce que c’est celle qui fait rapporter le plus de gibier à la maison. D’ailleurs, contre les ennemis publics tels que le sanglier et le loup, tous les moyens ne sont-ils pas bons ?

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