Un ouvrage didactique

Joseph Lavallée est l’auteur de deux ouvrages importants : « La chasse à tir en France » (1854), et deux ans après « La chasse à courre en France ». Quatre éditions de 3 000 exemplaires pour le premier titre, et deux éditions de 3 000 pour le second. Ce sont des monuments édités en plein milieu du 19ème qui voit se former la chasse moderne que nous pratiquons toujours aujourd’hui : loi de 1844, ouverture des forêts domaniales, croissance permanente du nombre de permis de chasse, percement des territoires par la voie ferrée. Tout chasseur se devrait de feuilleter ces deux tomes pour connaître les lignes de force sous tendant la chasse française. « La chasse à tir » est le véritable vade-mecum du chasseur, qui balaye tous les sujets, depuis le plus anecdotique comme l’habillement, jusqu‘au plus technique comme les munitions. Lire les pages sur les fusils Lefaucheux, Pauly… et les charges de poudre, vous fait entrer dans le musée de l’arquebuserie, quand les armes portaient à 150 mètres, si l’amorce partait bien. Mais quelle fraîche poésie ! 

 

Le chien, cœur de sujet

Vous saurez tout de la chasse au miroir, ou comment arpenter les vignes, ou aborder les subtilités de la chasse au gibier d’eau. Mais il n’est question de gros gibier. Cerf, chevreuil, sanglier y sont absents. Tous ces chapitres sont entrelardés d’histoires vécues, comme la carpe tirée au fusil par le maréchal Berthier, ou cet astucieux braconnier qui se déplaçait avec des échasses au pied de chevreuil pour dérouter le garde. La critique le taquine un peu sur ce sujet : « cédant au désir parfaitement légitime de donner place dans son livre à l’élément récréatif à côté de la partie didactique, il a butiné le plus possible sur les gais épisodes qu’il a rencontré en chemin… Malheureusement, il n’a pas toujours distingué les récits authentiques de ceux qui n’avaient qu’un caractère apocryphe ». Mais qu’importe, la verve est là, et il faut bien quelques hâbleries galantes ou fantastiques pour nourrir l’historiette de fin de dîner de chasse. Feuilleter « La Chasse à courre en France » est tout aussi plaisant, puisque, pour Lavallée, l’histoire de la vènerie est universelle. Avant d’analyser « Vènerie et louveterie », notre auteur fait une incursion dans la littérature savante, depuis le livre du Roi Modus jusqu’à ce bon d’Yauville. Dans son analyse du chenil et des chiens, revient le débat toujours pendant entre chiens anglais, rapides mais gorgés, et français plus lents mais aux menées si sonores. Etouffer ou prendre ? Toujours le même dilemme…

 

Sauveteur du manuscrit « la chasse de Gaston de Foix »

Il aborde la petite vènerie sous l’intitulé « Chasse à la billebaude et sans relais », puis la grande vènerie ou chasse à courre avec « Limiers et relais ». Ce ne sont pas des pages arides, mais au contraire la conversation savante du praticien, qui forme votre jugement et rapporte aussi bien la légende de Saint Julien que l’ivresse du chevreuil illustrée de l’anecdote de M. Poirçon, inspecteur de la forêt de Compiègne. En 1848, Lavallée sauva de l’incendie du château de Neuilly le manuscrit établi pour Jehan de Foix « La chasse de Gaston de Foix, dit Phoebus ». Il put ainsi en refaire l’édition en 1854, et nous transmettre ce chef d’œuvre de la fin du Moyen Age. Il publiera ensuite « Zurga, le chasseur » en 1860. Puis il revient sur les questions du vocabulaire de la chasse avec « Technologie cynégétique », et son ultime contribution fut sa traduction de « La partie de chasse », un poème du cardinal Adrien. Lavallée quitta ce monde en 1878 et sa tombe se trouve dans le cimetière bourbonnais de Brout Vernet où il chassait et où il a vécu.

 

Extrait

 

Une chasse au cerf dans le Bois de Boulogne en 1720 (d’après « Les récits d’un vieux chasseur » de 1858)

 

- Ho hé, père Paturet, on vous a donc mis du fauve dans le bois puisqu’on doit chasser le cerf ?

- Mais oui mon garçon, et voilà ce qu’il y a de plus drôle, on va, dit-on, chasser le cerf, et sans chien. Parmi les sauvages venus du bord du Missouri, se trouve une jeune indienne nommée Fille du Soleil. Elle a, dit-on, dans son pays droit de souveraineté, et on doit donner la couronne au blanc qu’elle choisira pour époux…

 

A la force des jarrets

On vit descendre par la grande avenue de Neuilly, une escorte de mousquetaires, puis les voitures du Régent, puis, derrière venaient deux carrosses appartenant aux trésoriers de la compagnie des Indes. On y avait emballé nos dix sauvages. Pendant que chacune des personnes invitées à la chasse montait sur le coursier qu’on lui avait préparé, les Indiens étaient sortis de leurs voitures. Ils s’étaient assis à terre et alors le plus âgé d’entre eux, celui qui paraissait le chef, décrocha de sa ceinture une longue pipe et se mit à la bourrer de tabac. Mais bientôt, il manifesta son embarras et l’interprète lui demanda ce qu’il voulait. « Sergent, prêtez–moi votre briquet », cria-t-on au garde-française qui dépassait le reste de la foule de la hauteur de la tête. Le chef alluma son calumet, lança une bouffée de fumée vers chacune des avenues qui venait aboutir au rond-point où l’on était placé. Les autres Indiens renouvelèrent la même cérémonie, puis dirent qu’ils étaient prêts à commencer la chasse.

 

Ce n’est pas de la chasse, c’est une course !

Pendant ce temps, on avait fait avancer un lourd fourgon. On en tourna la porte vers l’allée de Madrid puis on l’ouvrit. Ce caisson contenait un cerf, panneauté la veille dans le bois de Fosse-Repose. L’animal bondit en jetant sur la foule un regard effaré. Les trompes sonnèrent aussitôt la Royale, car le cerf était un dix-cors jeunement. Lorsque la fanfare fut achevée, les Indiens partirent à la poursuite du cerf, en poussant des hurlements auprès desquels les aboiements d’une meute sembleraient de suaves murmures. L’animal, effrayé par ces cris furieux, doubla de vitesse. Les Indiens le suivirent. Tous les cavaliers s’ébranlèrent alors en se tenant à distance. « Mais ce n’est pas une chasse, c’est une course. Pensez-vous véritablement qu’ils le prennent ? » demanda le sergent en frisant sa moustache. « Oh, cela me semble assez probable. Ce cerf est encore fatigué des privations qu’il a éprouvées pendant l’hiver. Son refait est mou et sensible. Il hésitera à entrer au fourré où les branches le blesseraient continuellement. Il sera contraint de se détourner soit d’un côté soit de l’autre. Après avoir pris de l’avance, il reviendra sur ses pas, croisera ses voies, entrera au taillis et se jettera sur le ventre. Mais dans ce bois coupé par des allées, un défaut n’est pas à redouter car tout le monde veille dans tous les carrefours. Pour peu que les coureurs veuillent se ménager et se relayer adroitement, ils ne laisseront pas au cerf un moment de repos et d’ici deux heures ils auront pu le malmener. Si le cerf tourne à droite, il faudra qu’il suive le mur d’enceinte et nous le verrons bientôt revenir vers nous. S’il tourne à gauche, il aura plus d’espace et il est probable qu’il rencontrera la mare d’Auteuil. Il voudra battre l’eau et les Indiens pourront l’y noyer… ».

 

Elle tendit le pied au sergent

On entendait les clameurs poussées par les Indiens se rapprocher parfois, puis le vent les emportait et tout rentrait dans le silence. Le cerf se faisait battre, rusait, faisait des hourvaris, mais il avait peu de chances en sa faveur car il n’était pas une allée où des centaines de curieux ne suivissent ses moindres mouvements du regard. Enfin, la chasse ou plutôt la course, comme l’avait appelée le père Paturet, tirait à sa fin. Le cerf, sans cesse relancé, s’était retiré dans une étroite enceinte. Il s’y était acculé à un buisson épais et faisait tête à ses persécuteurs. L’un deux s’étant imprudemment approché fut frappé d’un coup de tête qui l’envoya rouler à dix pas, en lui démettant l’épaule. Un autre reçu un coup de pied dans la cuisse qui le jeta également par terre. Mais les autres, s’étant en ce moment rués sur le cerf, le portèrent bas et l’égorgèrent. Puis, lui liant les pieds avec une hart de chêne, ils y passèrent un brin de taillis et l’apportèrent sur leurs épaules aux grands applaudissements de la foule qui les félicitait de leur triomphe. Toute la chasse revint bientôt à la porte Maillot, d’où l’on était parti. « Il est dommage que nous ne puissions faire la curée, dit le régent, cela manque à la fête. Mais on pourrait lever le pied de l’animal pour l’offrir à la reine de la journée…». Le pied fut donc levé et on vint le présenter à la Fille du Soleil qui le reçut d’un air étonné. « Que faut-il faire de cela, dit–elle ? Est-ce qu’il est d’usage de le manger ainsi ? J’aimerais mieux qu’il eût passé sur des charbons ». Son interprète lui fit alors comprendre que l’offrande du pied était un hommage qu’on lui rendait, et qu’elle était libre d’en faire honneur à celui qu’elle préférait. Alors, elle tendit elle–même le pied au sergent qui le reçut avec joie. « Mon Dieu, dit Law, en s’approchant du Régent, je crois que nous avons l’homme qu’il nous faut. Comment t’appelles-tu ? » demanda-t-il au militaire. « Dubois dit La Valeur, sergent aux Gardes-Françaises, compagnie de Nonac » répondit celui-ci en faisant le salut militaire. « Et comment trouves-tu la souveraine du Missouri ? ». « Il n’y a pas d’affront, Monseigneur, répondit le soldat. C’est un beau brin de fille ». « Tu t’appelles Dubois, reprit Law. C’est, à ce qu’il parait, un nom qui porte bonheur. Allons Messieurs, lança-t-il en se retournant vers la foule, on peut crier Vive Dubois 1er, roi du Mississipi ». Dubois prit le bras de la Fille du Soleil, allèrent saluer le Régent et montèrent ensemble dans le même carrosse, aux grands applaudissements du peuple.

 

Epilogue

Mais il parait que la princesse était légèrement jalouse et elle trouvait que Dubois prenait trop souvent la permission de onze heures. Elle a voulu se plaindre. Mais Dubois n’était pas endurant et il a caressé la belle d’une manière un peu trop cavalière. En représailles, celle-ci l’a fait assommer par ses parents, puis on l’a scalpé, puis on l’a fait rôtir, puis… sa femme l’a mangé… en famille !