Il est de toutes les coteries, croise le fer avec le futur général de Gallifet, et en 1864, lors de l’enterrement de Vaucorbeil, directeur de l’Opéra, il est l’une des quatre personnalités à tenir un des cordons du poêle mortuaire. Comme il est aussi journaliste, ce sésame lui ouvre tous les salons littéraires, et le foyer de l’Opéra est son champ de manœuvre privilégié. En 1870, lors du siège de Paris, il sauve le peintre cynégétique Henri de Penne d’une mort certaine. « Je suis entré dans la littérature proprement dite, n’ayant jusque-là (en 1868), publié que des études d’agronomie et de critique musicale… ». Ainsi, on peut faire trois classements dans son abondante production littéraire : le critique musical de haut vol, le romancier mondain avec « le Baron Vampire » critique de l’influence juive sous Napoléon III, et « Un Parvenu » dont l’intrigue se déroule lors de la répression de la Commune.

 

Zootechnie et chasse

Dans la zootechnie, on relève des ouvrages de vulgarisation comme « Les races chevalines » et « Le mérinos ». Dans la rubrique chasse citons des ouvrages publiés sur la fin de sa vie : « Les veneurs excentriques » (1909), « Le chasseur noir », « Souvenirs d’une jument de chasse », « Ecoute à Bois Rosé » (1886 & 1890), « Les Veneurs ennemis » (1887), et « Souvenirs d’un veneur » (1906). Il semblerait que Charnacé se méfiât de l’utilisation de l’arme à feu. Dans la scène finale des Veneurs ennemis, elle est la cause du désastre, et dans le début de sa nouvelle « Mademoiselle Catherine », se trouve la même idée puisque : « la mère de Catherine était veuve d’un petit gentilhomme tué par l’un de ses amis à la chasse, et cet évènement avait légèrement troublé le cerveau de la pauvre dame qui ne cessait de répéter : mon mari est damné ! Son fils, élevé dans l’horreur des exercices du corps, faisait de la tapisserie durant ses heures de liberté… ». Pourquoi Charnacé ne publia-t-il ses romans que sur la fin de sa vie ? Il devait être trop pris sans doute par son élevage de chevaux et ses chasses. Il avait pourtant rencontré, dans les années 1860, le célèbre marquis Théodore de Foudras, et à partir de cette rencontre, il brosse pour la revue « Le Nemrod » autour du « Balzac de la chasse » une délicieuse scène où le vénérable veneur débusque, puis relance régulièrement le même lièvre quasi apprivoisé, mais qui permet de belles menées sonores à son basset. Un discret hommage lui est rendu, en reprenant le titre d’un roman de Foudras : « Une nouvelle Madame Hallali », où l’Anjou sert de toile de fond… Charnacé est un bon romancier, qui brosse ses scènes sans ce langage de la trop riche technicité, celle qui ensevelit les choses dans une semi-obscurité. On pourrait résumer « Les veneurs ennemis » par cette phrase : « l’amour est vaincu par l’épieu ou en l’occurrence, par la balle… ». L’héroïne n‘a pas eu la sagesse de se mettre sous la protection de Sainte Osmane, qui protégea, lors d‘une chasse, le sanglier acculé par les chiens. Dans sa nouvelle « Une Diane berrichonne », Charnacé entremêle les thèmes de la fin du 19e, placés sous le signe de la décadence et de l‘argent. Courtisée pour la fortune de son père, banquier juif, l’héroïne se trouve être le centre d’un étrange chassé-croisé, où chacun redouble ses voies. Elle est l’organisatrice de sa propre chasse, comme Actéon dans le mythe grec. « Si l’on ne peut pas dire que j’eus le génie de la chasse, je puis assurer que je naquis veneur, non seulement par le sang, mais encore parce que, tout enfant, j’entendais des récits de chasse ». La transmission orale est des plus importantes. La démission de son père, pour ne pas servir Louis-Philippe, amena le petit Guy à suivre les laisser-courre de lièvre, sur le domaine de Bois-Montbourcher, à Chambellay, à 30 km au nord d’Angers. Toute son enfance se déroula donc sur les rives de la Mayenne, à compter les trente lièvres forcés par an. Les impressions d’enfance sont les plus propices à décider d’une carrière, et si l’équipage de cerf de Théobald de Serran, l’émerveilla, il se mit à l’école des frères Danne, les premiers à dominer la très complexe vènerie du chevreuil. Que de beaux souvenirs derrière Barbouilleau, Baliveau, Cerf-Volant, issus du croisement d’un fox-hound et d’une lice de Vendée…

 

Fin connaisseur des chiens

« Les chiens courants ne donnent leur confiance qu’à l’homme qui ne les trompe pas… ». En tant que maître, avec J. de Vézins, de l’équipage « Aux Angevins », il sélectionne une excellente meute pour courir le chevreuil. Il démonte en 1896, après 18 prises successives, et les chiens furent dispersés aux enchères chez Chéri. Un mâle et une femelle, Lahire et Lucrèce, partirent pour 1100 F chez le baron du Sart, en Belgique. Convaincu de la primauté de la lice dans la reproduction, ses croisements dit « à l’envers » prouvaient la justesse de son intuition. Un de ses meilleurs chiens, d’origine griffon, chassait encore en tête à 10 ans. C’était le fabuleux Cerf-Volant qui ne s’avouait jamais vaincu. Le change, si redouté du veneur, demande des chiens éprouvés dans les grandes forêts, et non dans les chasses de boqueteaux. Charnacé parle aussi de son fameux Grenadier, capable de rapprocher sur la voie pourtant fugace du chevreuil, et vieille de dix heures. Autre cas de l’extrême finesse de nez des chiens : un jour de chasse, la meute rompt et se met à escorter un tombereau de choux. Le charretier dut s’arrêter, et… avouer avoir caché un chevreuil braconné sous les feuilles. Le chien chasse pour prendre, mais avec dignité, car « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Un jour, ayant aperçu un renard, il mit ses chiens à la voie. Son étonnement fut grand de voir la meute le chasser. L’animal se fit prendre en peu de temps, mais les chiens se refusaient à l’approcher. Il traînait un piège à la patte. En dehors de la saison de chasse, fort longue cependant, les réunions de veneurs étaient fort courues autrefois. Au-delà du plaisir de se retrouver, c’était l’occasion de vendre les jeunes chiens, et les vieux devenus trop lents. « Je serai tenté de croire qu’il n’est pas de meilleure école que la chasse du lièvre, j’en ai de mon côté des preuves nombreuses » disait-il. Lire ou relire les ouvrages de Guy de Charnacé, c’est recueillir la longue expérience d’un veneur. C’est aussi devenir un peu le complice de son petit-fils, Foulques, à qui est dédié « Souvenirs d’un veneur ». Grâce à ses ouvrages, Charnacé est entré au paradis des écrivains–veneurs en compagnie des Chabot, Lévesque ou La Besge.

 

 

 

Extrait : Les veneurs ennemis

 

- Mon cher Monsieur Ravault, bien que mon fiancé ne soit plus très jeune, il est cependant le mari de mon choix, le mari de mon cœur, le seul homme qui l’ait fait battre. J’épouse M. de Montjoie.

- Le comte de Montjoie, l’ennemi de votre père ?

En prononçant ces paroles, le vieillard laissa tomber sa tête sur son bureau. Puis, il remit à Mlle Jeanne un papier où elle lut ce qui suit : « Ceci est l’expression de ma dernière volonté. Dans le cas où ma fille, Jeanne, viendrait pour une cause quelconque à vendre mon équipage, je remets à Me Ravault, mon ami, le soin d’assurer cette vente, selon mes intentions formelles. Ma meute doit être vendue au loin et ailleurs que dans l’un des départements de l’ouest. En outre, cette vente se fera à l’insu de mes voisins et sans aucun avis, rendu public. Si cela était possible, je souhaiterais que mon équipage fût vendu à l’étranger, pour empêcher tout retour possible d’un de mes chiens en Poitou. On devra, pour arriver à l’exécution de ma volonté, user de tous les moyens, au risque de n’obtenir qu’un prix modeste de ma meute. Mes ennemis savent ce qu’elle vaut, mais, en dehors d’eux, personne ne peut en connaître la valeur. Elle est et restera, si on n’introduit aucun élément nouveau, si l’on pratique scrupuleusement la méthode anglaise de « l’in and in », la meilleure qui se soit jamais vue. Dans le cas où ma fille conserverait mon équipage, il sera détruit à sa mort. Chaque chien, jeune ou vieux, sans exception, sera tué sous les yeux même de Me Ravault, ou de son successeur, que j’institue l’exécuteur de mes volontés dernières. Ma fille comprendra la pensée qui les inspire. Quelle en fasse donc la règle de sa conduite ». Fait au château de La Cointerie, le 1er de mois de mai 1855. Jean de La Cointerie.

La lecture de ce testament, le seul qu’eût écrit son père peu avant sa mort, si toutefois on peut appeler cela un testament, plongea Mlle Jeanne dans une série de réflexions pénibles à son cœur. Il demeurait évident que le défunt, en écrivant ses recommandations à Me Ravault, avait entendu s’assurer que jamais sa meute n’entrerait chez M. de Montjoie. Il prévoyait que son rival deviendrait son imitateur, que lui aussi voudrait prendre des chevreuils, et que pour atteindre ce résultat, il suivrait son exemple, dut-il, si les circonstances le permettaient, acquérir son équipage. Cette pensée ne le quittait pas, et il l’avait formulé dans un codicille. En personne résolue, elle examina la conduite qu’elle allait tenir. Epouserait-elle l’homme que son père traitait en ennemi, bien qu’en réalité, il n’eut aucun reproche sérieux à lui adresser, et qu’il n’y eut, entre les deux chasseurs, qu’un sentiment très vif de jalousie ? En y consentant, ne manquerait-elle pas à la mémoire de son père ? Comme il est dans notre nature de chercher, et de trouver d’excellentes raisons à l’appui de nos désirs, elle se répondit que son père ne l’avait jamais empêché d’aller chez M. de Montjoie, qu’ils se rendaient de mutuelles visites, qu’en somme le chasseur seul avait de l’antipathie pour le chasseur, et qu’au fond les deux hommes s’estimaient réciproquement. Cette dernière appréciation n’était pas tout à fait exacte, car M. de Montjoie blâmait énergiquement le maquignonnage de son voisin, ses pratiques commerciales peu scrupuleuses, si opposées à la dignité de gentilhomme. Mais la fille du louvetier ne raisonnait point ainsi, ne s’étant jamais rendu un compte bien exact des défauts et des torts de son père, par égard pour lui… Sa passion pour la chasse, son attachement pour la création paternelle de cette meute qu’elle avait vu se former, et dont elle était si fière, lui disaient qu’elle n’aurait jamais le courage de s’en séparer…

- La réunion de nos deux équipages sous le même toit serait difficile pour plusieurs raisons. Bastien m’est attaché et je ne voudrais pas m’en séparer. Vous demander de mettre à la retraite La Brisée serait un mauvais début, qui m’aliénerait toute votre maison… Mais quel parti prendre ? Ne pensez-vous pas qu’on pourrait tout concilier en laissant ici mes chiens ? Leur surveillance serait pour nous un but de promenade en été et en hiver, nous chasserions tantôt avec eux seuls, tantôt en les réunissant aux vôtres…

- J’avais pensé, ma chère Jeanne, que nous écrèmerions nos deux meutes pour en former une seule qui n’eut pas rencontré sa pareille. Bastien en eut pris la direction pendant que son vieux camarade se fût spécialement occupé de l’élevage des chiens… En agissant ainsi, vous ne manquez pas au désir de votre père et les inconvénients d’un équipage trop nombreux dans les forêts vives disparait…

Cette conversation qui se passait le matin se fut encore prolongée sans qu’une solution satisfaisante vînt la clore lorsque Bastien entra, tout essoufflé, dans le salon :

- Mademoiselle, dit-il, je viens d’apercevoir le pied tout saignant d’un énorme sanglier, dans le chemin et sur le fossé du petit bois,

- Tu dois te tromper, mon brave Bastien, interrompit M. de Montjoie. D’où viendrait ce solitaire ? Je n’en ai jamais vu dans le pays,

– Monsieur le Comte, je réponds de n’avoir pas la berlue et rien n’est plus facile que de vous en convaincre…

On partit, et dix minutes plus tard, M. de Montjoie constatait l’exactitude du rapport de Bastien.

- Déjeunons en hâte, reprit Mlle Jeanne, et découplons sur cette voie. Malheureusement, on ne peut attendre à demain et il nous faudra vous passer de vos chiens, mon cher voisin,

- Par ma foi, je ne le regrette pas. Je craindrais de les faire tuer ou blesser par ce sanglier, qui ne doit pas être pacifique, à en juger par la largeur de son pied.

A midi, Bastien était à cheval. M. de Montjoie montait l’un des chevaux de sa fiancée sur lequel on avait mis une carabine dans sa botte. Mlle de la Cointerie, qui n’avait jamais vu de sanglier, ne se contentait pas de joie… Un animal monstrueux détala devant les trente chiens et piqua droit sur la forêt d’Andouillet. On y arrivait à quatre heures du soir. La nuit commençait à tomber. A ce moment, la meute se taisait ou du moins, on ne l’entendait pas. Chacun se dirigea du côté où il croyait la retrouver. Mais le vent soufflait avec violence dans les arbres, en les pliant. Il fallait être non seulement chasseur dans l’âme, mais encore que cette passion eût été apportée dans le sang de Mlle Jeanne, par voie d’hérédité. Cependant, elle se voyait seule, et talonnait sa jument, qui commençait à se faire prier. Tout à coup, elle prêta l’oreille, et entendit un grand fracas dans le taillis. Elle y pénétra et aperçut le sanglier qui tenait tête aux chiens. Plusieurs étaient là, gisants, couverts de sang. Saisissant le petit cornet de cuivre qu’elle avait rapporté d’Angleterre, et qui lui tenait lieu de trompe, elle fit entendre des appels désespérés. Ni le comte, ni Bastien n’arrivaient… Elle s’approcha enfin de la meute, le fouet levé, dans l’espoir de la séparer du solitaire et de l’entraîner loin de ce terrible adversaire. Mais, ses valeureux chiens, qu’une longue poursuite avait acharnée à leur proie et que l’expérience n’avait pu rendre prudents, puisqu’ils n’avaient jamais chassé le sanglier, restaient sourds à la voix de leur maîtresse. L’animal, acculé au tronc d’un chêne, se précipita sur le cheval de Mlle de La Cointerie qui tomba, l’entraînant dans sa chute. A peine relevée, elle tira son couteau de chasse et attendit le sanglier, toujours mordu aux jambes par la meute écumant de rage. Pas une minute, le courage de la fille du louvetier ne faiblit. Néanmoins, les larmes coulaient de ses yeux à la vue des blessures que ses chiens recevaient incessamment. Emportée par le désespoir d’un tel carnage, enivrée par ce spectacle sanglant, Mlle de La Cointerie, profitant d’une lutte pendant laquelle l’animal disparaissait au milieu de la meute qui avait fini par le terrasser, s’approcha et lui porta un coup de couteau. Malheureusement, la lame s’était brisée sur la peau épaisse du sanglier, qui, se retournant, la terrassa…  

M. de Montjoie survint à ce moment. N’apercevant pas Mlle de La Cointerie, que la brume et le combat dérobaient à sa vue, il prit sa carabine et ajusta le solitaire. La balle effleura sa tête et frappa Mlle de La Cointerie en plein cœur. L’animal blessé s’enfonça plus avant dans le taillis où il finit par succomber, transpercé par une balle. Bastien l’avait tué raide. Le lendemain, Me Ravault trouva sur la table de Mlle de La Cointerie un pied de cerf, monté et ferré en argent. Entre les clous de fer, on lisait : Bois de Mirevaux. Vendée. Mars 1856. Ce pied était posé sur une toile d’emballage, sur laquelle on avait cousu l’adresse suivante : « A sir Craford, baronet, Leicestershire, Angleterre ». Me Ravault comprit l’intention de la fille de son ami, enveloppa le pied de cerf, le cacheta et le fit porter immédiatement au chemin de fer. Il écrit une lettre ainsi conçue : « Monsieur le baronet, Mlle de La Cointerie a été tuée, hier, 25 mars, dans une chasse au sanglier. Ses obsèques auront lieu demain. Un service de huitaine sera célébré dans l’église du village, le 3 avril. Je remets au chemin de fer un pied de cerf que Mlle de La Cointerie vous destinait, comme vous le verrez par l’adresse du paquet, écrite de sa main, la veille même. Veuillez agréer, Monsieur le baronet, l’hommage de mon respect. Ravault. 

Dix jours après ce funeste événement, un service funèbre était célébré dans l’église du village… M. de Montjoie ne parut pas. Un médecin spécialiste, appelé de Paris, l’avait emmené et soumis à un traitement contre la folie… Un homme de haute taille, aux cheveux roux, à la démarche grave, dont le visage paraissait ravagé par une grande douleur, quitta l’église après la cérémonie, et monta dans une voiture au chiffre de Mlle de La Cointrie, accompagné de Me Ravault.

- Voici, dit-il au notaire, avec un accent britannique très prononcé, une somme de dix mille francs pour prix de l’équipage de celle que j’aimais, et dont j’eusse voulu faire ma femme. Peut-être penserez-vous, Monsieur, que cet argent doit être distribué aux pauvres, afin que son nom soit encore prononcé quelques fois ici. En Angleterre, il le sera toujours, tant que je vivrai. J’emmène avec moi Bastien, son fidèle piqueur, dont j’assurerai l’avenir. Mon intention est de commander au plus habile statuaire de l’Italie, Mlle de La Cointerie montée sur un cheval qu’elle me faisait l’honneur d’accepter pour la chasse, lors de son séjour en Angleterre. Je vous demanderai de vouloir bien faire placer cette statue sur son tombeau.

Le soir même, on voyait à la station du chemin de fer, trente chiens tenus à la harde par Bastien. Un grand nombre d’entre eux étaient blessés et marchaient avec peine. Celui qui avait été le piqueur de M. et de Mlle de La Cointerie, maintenant au service du baronet, les fit entrer dans un wagon où ils semblaient le suivre avec répugnance, comme s’ils eussent compris qu’ils ne devaient plus revenir au chenil de La Cointerie, fermé à jamais…