J’y étais un jour, par curiosité, entré jusqu’à la place du château, et trouver la maison de chasse ne me semblait pas devoir être d’une grande difficulté. En effet, une fois passée cette place, le stationnement de nombreuses voitures désigna à coup sûr le point de rendez-vous, et dans le doute de trouver un stationnement plus haut, je pris la précaution de me garer derrière la première voiture, laissant François partir devant, à la recherche pensais-je, d’une place plus en amont dans le village… Remontants à pied la rue principale, un nemrod élégant, qui, lui, la descendait, voyant nos tenues de chasse, nous désigna le rendez-vous dans une petite ruelle adjacente. Une nombreuse assistance était déjà présente et après un joyeux et tonitruant « Bonjour Messieurs Dames » à la cantonade, nous avons entrepris de saluer chaque convive en nous présentant. L’ambiance était chaleureuse, l’accueil convivial, les poignées de main cordiales. Derrière une table, siégeaient trois personnes, et l’une d’entre elles nous enjoignit d’aller nous inscrire sur le cahier de battue, tout au fond de la salle. Exercice difficile dans cette foule qui me fit bousculer une dame après avoir heurté la botte d’un chasseur. Je les priais d’accepter mes excuses, ce qu’ils firent avec beaucoup de condescendance, et me faufilais, avec Bernard sur les talons, jusqu’au registre où une voie forte nous demanda nos noms. Bernard et moi déclinons tour à tour notre identité, mais un grand silence se fit et nous figea sur place. Ne connaissant personne, et personne ne nous connaissant, le préposé aux inscriptions en déduisit que nous n’étions pas attendus dans cette chasse, et que notre rendez-vous était certainement dans l’autre société, à la sortie du village. Puis des sourires narquois et plutôt moqueurs nous accompagnèrent jusqu’à la sortie, saluant ainsi nos remerciements pour l’accueil, nos excuses… et notre départ.

 

La journée commençait mal !

« Effectivement, dis-je à Bernard, cela m’a paru bizarre, en entrant, de ne voir ni Jean, ni François, mais dans tout ce monde, va savoir ! ». Je descendis alors chercher la voiture, rattrapais très vite Bernard parti à pied, et nous faisons encore plus de cinq cents mètres pour voir François nous attendre au milieu de la route, face à une grande cour de ferme déjà pleine de voitures. « Et alors, qu’est-ce que vous faisiez ? » me demanda-t-il. Et de lui expliquer notre péripétie. Puis, cette fois au bon endroit, nous recommençons les salutations d’usage, et présentons nos permis tout en appréciant le café d’accueil qui nous permit d’attendre le retour de Jean, patron de la chasse, occupé en forêt avec un chien de pied. A son arrivée, il salua tous les présents, vint nous exprimer son plaisir de nous retrouver, et invita aussitôt l’assemblée à passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire les consignes de chasse et de sécurité. Une belle compagnie de sangliers avait été repérée dans une coupe sale au lieu-dit « Bois du Cadet ». Comme d’habitude ici, on ne tire pas les laies meneuses ou suitées, et aujourd’hui seulement les mâles et les bêtes de moins de cinquante kilos. Le plan de traque est vite organisé, et profitant de ma connaissance de la forêt, Jean me demanda d’aller, avec mon camarade et un autre invité, occuper les 3 postes de la difficile ligne de la Renardière, mission que j’acceptais avec plaisir et fierté. Pas simple en effet, la ligne de la Renardière, car à peine deux cents mètres après avoir quitté la route forestière, un gros arbre couché nous en interdit l’accès. Demi-tour donc, et grand détour par la route de la Chalosse, pour prendre la tranchée du Grand chêne, y laisser la voiture à son croisement avec la Renardière, et faire encore un demi-kilomètre pour y trouver nos postes, marqués par des petites pancartes numérotées. Une bonne distance les sépare, et bien évidemment, j’héritais du plus éloigné. Bien essoufflé avant d’y être arrivé, j’entendis déjà les récris des grands courants. J’accélérais le pas, mais l’effort fut inutile, et nous n’avons rien vu de la matinée…

 

La journée continuait bien mal !

L’après-midi mon poste était en contrebas d’une route forestière surélevée à cet endroit. Je me réjouis d’une telle place… si une menée avait la bonne idée de franchir la route forestière pierrée. A peine ai-je eu le temps de charger ma carabine, que de l’autre côté, j’entendis venir dans ma direction une menée sonore. Pour sûr, aussi près de la grande allée,  elle allait la sauter et je me préparais au tir, la carabine épaulée. Ma déception fut grande d’entendre alors la « musique » s’éloigner sur ma gauche, et longer la forestière, où j’ai vu maintes et maintes fois les sangliers la traverser sans ralentir !

 

La journée se poursuivait mal !

Déçu par cet épisode, je m’assis alors sur mon trépied pour attendre une éventuelle autre menée. Moins de cinq minutes après, mon attention fut attirée par de légers craquements. Je me levais lentement et aperçus, à une trentaine de mètres environ, un fort sanglier qui descendait le talus. L’animal, seul, bien noir, la hure carrée, une légère proéminence sous le ventre, les soies hérissées sur le dos, la vrille tenue verticalement droite, ne me laissa aucun doute. J’avais devant moi un beau solitaire qui ne m’avait pas vu. J’attendis qu’il traverse l’allée en face de moi, mis la croix de la lunette sur son épaule et lui envoyait une balle. Au coup de feu, il fit un bond énorme en avant, fila comme un diable sur une cinquantaine de mètres, s’immobilisa, et tomba sur le côté, raide mort. Fier de mon coup de carabine et me réjouissant de ce succès instantané, j’attendis la fin de battue en regardant ma capture. Les trois coups sonnés, je suis allé au résultat pour constater que… mon beau mâle était en réalité une laie d’environ soixante-dix kilos ! De retour à la maison de chasse, alors que je m’attendais à une remarque, voire une réprimande, je fus félicité pour « mon exploit », seule pièce de la journée, malgré plusieurs tirs. La journée mal commencée finissait donc bien… Mais, après les honneurs au gibier et la traditionnelle photo de groupe, la laie fut éviscérée et… incroyablement, on ne retrouva sur elle aucun impact de balle…