Le roi est arrivé en Alaska, non pas dans un avion privé, mais à bord d’Air Force One, gracieusement mis à disposition par la Maison Blanche, et aux frais des contribuables américains pour la modique somme de 50 000 $ (environ 400 000 $ aujourd’hui). À Anchorage, drapeaux népalais et limousines l’attendaient, et l’hôtel Captain Cook avait été entièrement réquisitionné. Un roi, même du lointain Népal, ça se soigne. Mais la vraie star de l’histoire n’est pas Mahendra. C’est Al Burnett, un guide de chasse local, sélectionné et informé rapidement sur les « mille tabous » religieux et culturels du roi. Burnett devait donc organiser une expédition pour son royal client, qui n’avait chez lui, qu’à attendre que le gibier vienne se faire tirer sous ses pieds. Mais l’expédition ne se présentait pas très bien. Excessive et trop tardive dans la saison à la météo imprévisible, le monarque avait établi une liste de trophées complètement absurde : deux ours Kodiak, des grizzlis, des morses, des mouflons, des caribous, des lions de mer… En fait, il ne manquait plus que le cousin du Loch Ness ! Mais Burnett, bon soldat, accepta. Il avança les frais, avec la promesse d’un paiement à l’issue du séjour, majoré de 15 % et d’une prime de 5 000 $, si au retour sa majesté a été satisfaite. Côté des lois locales, on repassera. L’usage d’avion pour repérer et transporter le gibier était illégal, mais le roi voulait des résultats, et les diplomates respectueux des ordres présidentiels, voulaient ne pas décevoir et prendre le moindre risque de déplaire au despote. Burnett s’est donc retrouvé pris entre deux feux. Résultat : on triche, on chasse dans des zones interdites, on viole les réglementations et on fait même tirer la reine Ratna sur un ours déjà mort. Mais cette « chasse », version Disney Channel a aussi un prix, et pas des moindres. Alors Burnett paie tout : les vols, les bateaux, les guides, les bananes violettes d’Hawaï (96 $), les fleurs de table à 80 $ pièce... pendant que ce roi fait du shopping, suivi par un serviteur népalais qui le suit avec un sac de chèques de voyage... sans jamais en signer un seul pour la chasse...
Enfer et désolation...
Après trois semaines de carnage peu réglementaire, Mahendra quitta Anchorage le 30 novembre. Le faste avait disparu, de même que les limousines officielles et l’avion « Air Force One ». Ne restait qu’une banale berline de l’armée et un vol Western Airlines pour rentrer au pays. Quelques jours plus tard, Burnett fit parvenir sa facture de 60 000 $ (près d’un demi-million actuel)... que l’ambassade du Népal rejeta. Il la réduisit à 45 000 $, faisant déjà passer par pertes et profits les 15% et la prime promise. Mais là encore, silence radio. Et, malgré des relances et des promesses népalaises, aucun paiement ne viendra jamais. Les conséquences arrivèrent en cascades pour le guide qui perdit son avion, ses bateaux, ses moteurs. Son entreprise s’effondra, sa licence de guide lui fut retirée et sa réputation anéantie. Il ne pouvait même plus acheter de provisions pour ses autres clients. « J’ai tout perdu et je suis encore personnellement responsable de plus de 20 000 dollars. Je vais devoir les rembourser jusqu’à la fin de ma vie » dira-t-il après avoir épuisé tous les recours. Pendant ce temps, Mahendra était retourné dans son royaume, probablement satisfait de son « safari diplomatique » et des trophées accrochés dans ses palais. Il ne s’est jamais expliqué, n’a jamais réglé ses dettes, et n’a laissé derrière lui que des factures impayées et un guide ruiné. Anchorage, qui avait déroulé le tapis rouge, n’en est toujours pas revenue. Quant au maire de Kodiak de l’époque, il a résumé l’affaire ainsi : « Tout le monde ici s’est mis en quatre pour ce roitelet de pacotilles. Mahendra a peut-être été un roi dans son pays, mais en Alaska, il ne restera à jamais qu’un mauvais chèque... ».