Un périmètre avec fossés de limitation, des sommières vallonnées ayant conservé l'aspect de chemins de desserte, des layons perpendiculaires, constituaient un réseau circulatoire relativement dense, mais pas très facile, entre des coupes de superficies irrégulières et vastes. En cet hiver de 1937, une épaisse couche de neige de vingt centimètres garnissait sol et branches, qu’une légère gelée avait rendue craquante. Par contre, et cela n’était pas pour déplaire aux chasseurs locaux, des compagnies de sangliers, très nomades par ce temps de pénurie alimentaire, étaient signalées un peu partout dans la région.
Des boutis sur
Trois jours avant ce dimanche fatidique, Robert, le responsable de la traque, avait remarqué des boutis en bordure du secteur de
Un rut dans les cent arpents
Le dimanche matin, à dix heures précises, Monsieur Charles invita ses douze actionnaires et les vingt-deux chasseurs des environs à se rassembler pour entendre ses consignes d'usage : silence pour gagner les places assignées, prudence pour les occuper, contrôle pour le tir éventuel sur des animaux parfaitement identifiés et obéissance au code des signaux sonores. « Aujourd’hui, précisa-t-il, nous ne tirerons que les sangliers, rien d’autre ! Pas de chamois, pas de chevreuil et surtout pas de renard » et, se tournant vers Robert, il l’invita à faire le rapport de sa tournée matinale. « J’ai trouvé une rentrée toute fraîche dans la coupe des charbonniers. Cinq ou six animaux dont un de plus de
« Ils sont dans les genêts »
Après une grande demi-heure de marche assez pénible au travers des ornières dissimulées sous la neige, tous les chasseurs étaient postés, dans l’attente des bêtes noires qui voudraient bien quitter la vaste enceinte et sauter les layons. Les traqueurs, disposés tous les trente mètres sur la ligne de
« Les chiens Jérémie, les chiens ! »
Pendant ce court laps de temps, les premières détonations retentissaient sur les lignes. Les animaux vidaient les lieux, accompagnés par les récris rageurs des chiens que tous les traqueurs avaient découplés au premier coup de fusil. Au milieu des cent arpents, un drame couvait… Robert, sérieusement sonné par la charge impétueuse du grand mâle était toujours à terre, à demi inconscient, alors qu’à quelques dizaines de mètres de là, un ferme sanglant se déroulait. Les chiens, au contact du solitaire blessé, payaient eux aussi leur passion pour la bête noire. Jérémie, blanc comme un linge, questionnait son père : « Papa, ça va ? Dis papa, t’as rien de cassé ? » et Robert de répondre : « Les chiens Jérémie, il faut aider les chiens. » Alors, sans plus réfléchir et inconscient devant la gravité de la situation, Jérémie récupéra le fusil et s’avança vers le ferme… avec la seule idée de sauver « ses » chiens. Le sanglier était là, debout, appuyé contre une cépée. En retrait, un chien était allongé, hors de combat. Deux autres se tenaient plus loin, l’air hagard, regardant leurs blessures qui laissaient échapper un flot de sang. L’œil du solitaire pétillait de colère. Jérémie, tel un vieux briscard, mit en joue et appuya sur les deux queues de détentes à la fois. Le second coup partit… le sanglier aussi. Il démarra tel un bolide, cassant du bois sur son passage. Jérémie l’entendait partir dans ce fracas de branches brisées et puis, aussi brutalement que la fuite avait commencé, le silence se fit. Plus rien ne bougeait, pas même Jérémie, pétrifié d’angoisse pour son père, affligé pour ses chiens, tourmenté par le sanglier. Ce fut Robert qui le ramena à la réalité. Il se tenait la jambe gauche. Sous son pantalon déchiré, on devinait la longue estafilade que le solitaire avait creusée lors de sa charge. « Jérémie, ça va ? » questionna le père. « Oui, oui, il est parti par-là » répondit le jeune garçon en montrant la direction de fuite que tous les deux empruntèrent après que Robert eut récupéré et rechargé son arme. Effectivement, vingt mètres plus loin, des grognements heureux leur indiquaient que les deux chiens valides commençaient à piller le grand mâle.
Le roi de la chasse
Le retour au « Val des solitaires » fut des plus émouvants. La blessure de Robert ne présentait pas de complication particulière, les blessures des chiens étaient plus superficielles qu’il n’y paraissait de prime abord, et les nombreux coups de feu tirés par les chasseurs postés sur les refuites des sangliers avaient laissé six d’entre eux sur le terrain. Inutile de vous préciser que ce fut celui de Jérémie qui trôna en pièce maîtresse du tableau. Magnifiquement armé, le quartanier accusa, sur la bascule de Monsieur Charles, le poids respectable de
J’ai eu plaisir à vous conter ce merveilleux souvenir de chasse dont vous ne pourrez plus douter de l’authenticité quand je vous aurais encore dévoilé ceci : mon père se prénommait Robert !