A la « Perle rose »

Huit heures, arrivée au rendez-vous de chasse, la « Perle rose ». A chacun son pied, et on s’retrouve à 9h30. Après concertation, on ira découpler sur un ragot d'une cinquantaine de kilos que l’Pierre, il a remisé au fond des Vallerets, en limite de Préhy. On se prépare gentiment, le rapport, sans oublier le casse-croûte que l'on fera gentiment aussi, avec le p'tit verre de Chablis bien sûr, et tout cela gentiment. « Moi, Carillon, le chien du gars au grand coeur qui battait dans des habits sales, (mon maître était mécano), c’qui fait qu'un jour de chasse, y pouvait pas faire de la mécanique, et… Lycée de Versailles, parce que, dans l’temps, quand y'avait un sanguier qui était vu dans la vallée de Vaucarme, c'était tout de suite, et comme c'était pas souvent, et comme ça foirait presque tout le temps, on arrosait ça tout le temps… Ça faisait couler le pain et les mensonges, mais pas n'importe quels mensonges. Uniquement ceux qui embellissent les scènes de chasse et qui font des heureux. Découplé à dix heures, avec mon acolyte Tambour, qui plus rapide que moi sur le rapproché, avait tendance à souvent me larguer. Un coup de gueule tous les cinquante mètres, et puis d'un coup plus rien, tandis que moi, y fallait que ]'cause. J’étais comme mon maître. D'abord c'est bien connu : montre-moi ton chien, je te dirais qui tu es. C'est pas entièrement faux quoique… En ce qui me concerne, Pierre ayant laissé tomber le haillon arrière de la deudeuche sur la queue, il a fallu me l'amputer de moitié, c’qui fait que quand j’suis content, ça se voit qu'à moitié aussi. Une fois de plus, Tambour m'avait fait des infidélités, baguenaudant sur la voie. J’empaumais le pied d'un animal qui ne me semblait pas être celui recensé sur la remise. Alors j’me suis dit, tant pis, à chacun sa chasse. Il est 17h30, et je retrouve mon Tambour, raide comme des baguettes, endormi dans la deudeuche, et dans ses plaintes et ses gémissements, je le sens se refaire le film d'une chevauchée menée jusqu'à son apothéose. Ce n'est pas que je voulais savoir, mais la chaleur moite de son corps m'attira, et me couchant maladroitement, j’eus droit à la réprimande à la mesure de mon geste. Et ce fut du à qui mieux mieux…

- Quoi que t'as foutu sur le rapproché ?

- Ben, tu sais, ben… que tu vas trop vite pour moi, et moi pas assez… Enfin , bref… Toujours est-il que je me suis retrouvé avec un gros mâle pas aimable du tout. Un coup j’te course, un coup y me course, et pour l'avoir engueulé et lui dire que j’en avais marre de ses conneries, tu peux me faire confiance, mais il en avait strictement rien à foutre. Eh ben, à force de se courser l'un l'autre, on s'est retrouvé au bois de Milly, et avec le retour… eh ben me v'la. Et toi ?

- Eh ben… quand je t'ai largué sur le lancé, c'est deux heures de rang, au cul de ce ragot bien complaisant qu'on a fait la visite des territoires de 3 ou 4 communes. Mais, le Pé, malin comme il est, y l'était-y pas resté sur le lancé. Ça a pété… J’te dis pas quand j’suis arrivé vers le ragot. J’me suis pas couché, j’me suis éboulé et alors là, des carillons à la pelle…. Ah, mon Carillon, que j’me suis dit, attention à l'arrosage, parce que si y boit autant de verre de Chablis qu'il a dit mon Carillon, ça va être l'hallali debout…

- T’es ben sur que c'est le Pé qu'il l’a tué ?

- Ah oui, et pas qu'une fois ! Trois fois dans l’sous-bois, à 25 mètres, puis à 35, puis à 50… Et il l’a r’tué quatre fois dans la deudeuche, et… cinq fois dans la cave. C’est comme le poids… Dans le bois, quarante kilos. Dans la deudeuche, l’était passé à cinquante, et dans la cave, c’était cinq kilos de plus à chaque canon… Tiens les v'la…

- Dit donc Gégène, j’crois ben que les chiens y sont passés d'vant !

- Tu crois ? Ah, j’me demande ben si tu vas t'y faire. C'est toi qu'es en train de monter derrière. Ça fait cent fois que j’te dis que sur les deudeuches, les poignées des portières de devant elles sont devant, et les celles de derrières, elles sont derrières, et dès qu't’a bu un coup, tu te souviens tout le temps du contraire…

C'était ça la chasse dans le temps. Maintenant dans certaines sociétés, y sont tellement nombreux qui se disent même pas bonjour le matin, c'qui fait t'as pas besoin de dire au revoir le soir. Ça gagne du temps. Et pis, les sanguiers, c'est pas les mêmes qu'avant. Tiens, l'autre jour, y a le voisin, il était à la chasse. Eh ben pendant ce temps-là, y'avait un sanglier qui y'arrachait ses patates. C'est le monde à l'envers. Y seraient devenus moins cons que nous, les sanguiers, que ça m'étonnerait pas.

- Ça va pas plaire à tout le monde c'que t'a écrit, mais c'est pourtant la vérité. Certains vont dire, que tu écris comme un cochon, alors qu'eux, y mangent comme des gorets. Moi Carillon, le chien du gars au grand cœur qui battait dans ses habits sales, je n'accuse personne, mais aujourd'hui y'aurait du contraire du bien qui s'promènerait sur le terrain que ça n’m'etonnerait qu'à moitié… »

 

Carillon, (retranscrit par Michel Vocoret…)