Le secret de l’homme à l’harmonica
Le Maurice, il aimait à être placé à « l’isolé », sans voisin, aux postes de battue. Comme il faisait pas mal son job, c'est-à-dire qu’il tirait régulièrement les plus gros « porcs » du village, on dérogeait pour la cause, à notre règle commune : faire tourner aux postes. Lui, il était régulièrement « aux palettes », et il était bien le seul à vouloir ce poste en plein vent, en haut près de la vigie, le poste de « couillonville ». Il était le seul à avoir fait des « cochons » à ce poste reculé de toute traque normalement menée. On l’appelait « Rossignol », mais on aurait dû l’appeler plus exactement « l’homme à l’harmonica » car il n’avait pas son pareil pour siffler en puissance et avec dextérité cette musique d’Ennio Morricone. Du haut de son perchoir, les jours de grand vent, alors que la battue se déroule à des lieux de là, Maurice siffle « l’homme à l’harmonica », et le vieux solitaire, heureux d’avoir une fois de plus « couillonné » les chasseurs se fait plaisir, veut prendre du bon temps et succombe aux charmes de ces quelques notes d’une tristesse inégalable. Il succombe ensuite à la Brenneke du fusil de Maurice, et rejoint le paradis des cochons, en musique et en douceur, car le Maurice a un grand cœur et il lui siffle alors une berceuse du type « fais dodo cochon mon petit frère… ». Ne vous moquez surtout pas, c’est sa façon à lui de rendre hommage à la bête ! J’avais déjà entendu dire qu’on peut stopper net un chevreuil qui se dérobe en le sifflant un court instant, et permettre, en une fraction de seconde, d’ajuster ainsi un tir plus sûr, mais siffler un vieux cochon, et le faire venir écouter sa dernière berceuse… chapeau le Maurice !
Une bien mauvaise blague
Vous connaissez Michel, le chef de battue, entier, fort à rechercher les cochons blessés, à leur donner le coup de dague, prêt à verser une larme sur un chevreuil fraîchement tué, et à lui demander pardon. Michel et ses chiens, sa meute, c’est quelque chose, un peu ses enfants, mais pas comme Mémée qui se raccroche à une petite vie qui lui tient compagnie. Non, ce sont des compagnons de bagne inséparables parce qu’ils ont connus ensemble les mêmes galères, le même souffle, les mêmes souffrances et parfois les mêmes joies. Ce jour-là, la battue s’est totalement désorganisée, peut-être trop de Mistral. Les chiens sont un peu fous, bref, le Rocky s’est perdu. Ce chien a tendance à suivre « son » cochon quoiqu’il arrive, la meute c’est son truc que si les autres le suivent. Lui, il suit « son » cochon et rien que « son » cochon. A l’époque, les chiens n’étaient pas suivis par GPS, et il n’y avait pas les gilets fluo protecteurs. On les perdait régulièrement au cours de la saison, on en perd toujours d’ailleurs… Le Rocky, Martial l’a arrêté, monté au fourgon, mais il n’a rien dit, il voulait faire une blague… Bien sûr Michel a cherché Rocky partout, téléphoné partout, le matin soit, pas la première fois, l’après-midi passe encore, il arrive que l’on récupère des chiens en fin de journée… mais là, toujours rien. Michel remonte en colline, il fait nuit, il tolère que je l’accompagne. On gare, on refait toute la traque, il appelle, il appelle encore, des heures à pister l’ineffable dans le peu de lune qui éclaire… on piste à la torche. « Comprends pas, le Rocky, il a dû le trouver son cochon. Il a dû le trouver longtemps après la traque, loin, et l’autre il l’a percé le salaud, c’est sûr, mon Rocky put…, mon pauvre Rocky… ». Et mon grand Michel, le Michel qui pique les vieux solitaires pour protéger ses chiens plus que pour « faire de la viande », ce Michel là, il est tout petit, tout faiblard, il s’arrête : « A quoi bon, c’est foutu maintenant, c’est foutu… ». Et il pleure, comme un gosse, de ses grosses larmes violentes, mais qui font du bien. Je le vois tout blanc, les yeux fixes dans le noir… « Allez Michel, on remonte, on verra demain… ». C’est bête comme des fois tu ne sais pas quoi dire d’intelligent. Va dire à un grand malade que tu sais condamné, qu’il y a encore de l’espoir. Moi, je ne sais pas mentir, même dans ces cas-là. Michel me fait grâce de ne pas répondre, mais son regard noir, que je devine dans l’ombre, en dit long. Martial, lui, a enfin compris sa bêtise. Il a téléphoné au cabanon, mais plus personne à cette heure, puis aux collègues en les réveillant les uns après les autres, en pleine nuit. Gilbert lui a dit qu’aux dernières nouvelles, il n’y avait toujours pas de Rocky, et pas de Michel également. Alors Martial est remonté en trombe, avec son fourgon et le Rocky, remis sur pattes après lui avoir donné de l'eau à gogo et des croquettes vitaminées. Il doit être maintenant 4 heures du matin, quand le Martial fait le tour de Tresquemoures. Il prend toutes les pistes, et il finit par trouver notre véhicule. Il klaxonne… Michel n’a pas demandé ni le pourquoi, ni le où, ni le quand, ni le comment… Il n’en a pas eu le temps. Il a vu Rocky, il l’a pris fort contre lui, il a encore pleuré comme un gosse, pas longtemps. Il l’a bien regardé son Rocky, et il a dit, comme à son accoutumé : « Sale bête va, sale bête ! ».
Le gros coup !
C’est le gros coup ! Tout a été réglé au poil, on démarre à Janet, les lignes de battues savamment étudiées en fonction des couloirs de fuites probables des sangliers et du Mistral, qui n’a pas cessé cette nuit. Timing précis de chaque équipe de rabatteurs et de chaque ligne de postés, sauf que… nous ne sommes pas seuls, et ma ligne de postés est placée à proximité de la ligne Maginot avec nos chers voisins du village d’à côté. Ils ont eu, eux aussi, la magnifique idée de faire battue sur le même secteur. Ça rabat donc devant nous, ce qui est normal, mais aussi derrière nous… ce qui l’est moins et… plus gênant. Il fait à peine jour que je devine leurs rabatteurs à 30 mètres de ma ligne. Ils sont surtout là pour éviter que les cochons passent chez nous, et ils font ainsi toute la frontière entre les deux territoires communaux. Des cochons, on n'en verra pas la queue d’un. Ils ont tous dormi chez nos chers voisins, après avoir fait ripaille dans nos vignes. La semaine passée quand on les dépiautait, on pouvait même dire à peu près le lot de vignes qu’ils avaient saccagé. Celui-là avait le ventre plein du cabernet à Jules, celui-là du merlot de Charles, celui-là de la syrah à Jean-Guy. Mais pour ce dimanche, on ne pourra pas dire avec certitude où les 3 petits cochons ont fait gueuleton, ils ont été tués à 100 pas de notre ligne Maginot par nos chers voisins. En me postant, j’ai trouvé, sur le sentier forestier, un gadget électronique sur lequel on lit l’heure, l’altitude, le nombre de mètres parcourus. Il était programmé pile sur une remise à zéro tous les 200 mètres… Un peu bizarre pour un cycliste qui parcourt les collines, de s’arrêter tous les 200 mètres, non ? On a mis du temps, mais on y est arrivé. On a cherché comme des fourmis, la rage au ventre, l’aiguille dans la meule de foin et on a trouvé… des boules de naphtaline, disposées tous les 200 mètres à quelques encablures de notre ligne de tir. Le principe est simple, vous choisissez la veille de battue une journée de non-chasse, vous prenez 2 ou 3 chiens bien obéissants qui aiment le sanglier, mais pas trop, pas des mordants. Vous parcourez la nature très gentiment avec vos 2 ou 3 toutous bien sages, et vous poussez ainsi les petits cochons vers votre chasse. Vous placez de la naphtaline de façon à éviter un retour nocturne et… vous préparez le tourne-broche. Pas plus compliqué que cela !
Une drôle d’enquête
Il me revient aussi une belle histoire de gigot de petit cochon. On était tous aux anges, les uns à finir de dépiauter, les autres à préparer le jaune, d’autres encore à aller chercher de quoi se restaurer rapidement pour le barbecue géant : saucisses, merguez et chips. Robert commençait à faire les lots de viande. Un véritable comptable en chef le Robert. Il compte tout, les 2 euros que chacun verse pour l’apéro, les 5 euros du repas, qui a fait battue, qui a tué, qui a fait cadeau d’une bouteille de jaune ou de gaz, qui a eu le gigot, qui l’épaule, qui le divers, qui les côtes… Les gigots sont distribués en priorité aux nouveaux, ensuite chacun son tour, sans préférence pour le tireur, comme ça il n’y a plus de jaloux. Tueur ou pas, on a tous en fin de chasse le même nombre de belles pièces de viande, et on ne se bat plus pour avoir toujours les meilleurs postes. Le souci, à l'époque au rendez-vous de chasse, c’est qu’on n’avait pas l’électricité, mais seulement un groupe électrogène. On n’avait pas de frigo non plus, et en ces temps de chaleur, si tu n’avais pas pris ta glacière, tu étais bon pour faire vite fait l’aller et le retour maison pour que la « patronne » mette illico presto la viande au frigo chez toi. C’est ce qu’a fait le nouveau du groupe, il n’avait pas pensé à la glacière. Mais « sa patronne » s’était absentée momentanément, et la maison était fermée… Un appel avec le portable : « Je laisse le gigot devant, à l'endroit que tu sais, où on met les clefs. Ok ? ». « Pas de problème, je suis là dans cinq minutes » répond la douce moitié… Aux dernières nouvelles, on recherche toujours le gigot du petit cochon au village, et aussi le responsable de sa disparition aussi soudaine que prévisible : chien, gros chat, facteur, extra-terrestre qui aime la bonne chère ?
L’auteur de ces récits a édité un roman de chasse « Toine des garrigues ». Pour recevoir un livre dédicacé, vous pouvez le contacter au 06 81 86 59 60 ou par courriel à : jean-paul.cappy@orange.fr