Quelques coureurs des bois trafiquent avec eux et peut-être a-t-il croisé Bombonnel. C’est donc dans cet environnement que Mayne Reid puisera la première trame de ses romans. A cette époque, les Etats Unis veulent reporter leur frontière sur le Rio Grande, et c’est au cours de la campagne du Texas, en 1840, que Mayne Reid gagnera ses galons de capitaine. En reconnaissance, le gouvernement américain lui versera une pension à vie pour services rendus. Puis, durant trois ans, de 1843 à 1846, il tâte du journalisme sur la tranquille côte Est, dans la très patricienne ville de Philadelphie. Il y devient un très proche ami du grand écrivain Edgar Poe. Il y a toujours un journaliste dans l’écrivain américain, et Poe dut le guider dans ses premiers articles. Dans l’effervescence des révolutions de 1848, Reid met sur pied un bataillon pour épauler les patriotes hongrois, dernière tentative d’humer l’odeur de la poudre. Mais c’est l’adieu aux armes devant l’écrasement précoce de ce soulèvement. Notre auteur se pose alors définitivement à Londres, capitale internationale, où il peut puiser dans sa malle aux souvenirs. « Le corps-franc des Riffles » est son premier ouvrage édité en 1849. Entre son dernier, « Terre de feu », terminé dans sa retraite de Frogmore House, quelques temps avant son décès, que d’éditions traduites, ce qui lui vaudra l’anoblissement décerné par la Couronne britannique. Il devint ainsi « Sir Tomas Mayne Reid ».

 

Connu et reconnu !

Avoir deux notices, l’une dans le Vapereau, « Dictionnaire des contemporains », sorte de « Who‘s Who » du 19e, l’autre dans le Thiébaud, vous attribue une notoriété évidente de célébrité et d’écrivain de la chasse. Le Thiébaud, référence du bibliophile chasseur, se limite aux titres nettement cynégétiques. Mais, chez Mayne Reid, beaucoup de ses ouvrages contiennent de nombreux récits de chasse. Etablir une bibliographie exhaustive est quasi impossible, car nombre de ses traducteurs rebaptisent les romans selon leurs humeurs… ou les besoins de l’édition. Ainsi, « Veillées de chasse » peut aussi s’appeler « Chasseurs de bisons ». Les éditions Hetzel alignent 16 volumes avec de magnifiques illustrations qui facilitèrent la diffusion et la popularité de l’œuvre de Mayne Reid. Des traducteurs émérites et chasseurs, comme Bénedict Révoil, ou de La Bédollière, aident à sa diffusion. Mayne Reid fut ainsi un pilier de la bibliothèque de voyages, de chasses et d’aventures. Quel bon compagnon pour vous aider à passer agréablement les heures souvent fastidieuses, lors d’un très long voyage dans un train crachotant et cahotant. Ces ouvrages ont enchanté de nombreuses jeunes générations et on peut écrire que Mayne Reid a œuvré pour sauver d’un mortel ennui ces gamins emprisonnés dans les pensionnats glacés, absorbés dans la nuit opaline des tropiques, décrite par leur auteur préféré. Ainsi, dans un style coloré et imagé, ils ont pu pagayer sur des bateaux ivres, le long de rives couvertes de fleurs et de lianes formidables, en évitant les noirs crocodiles des contrées inexplorées, habitat des peuples aux mœurs étranges. « C’est la nature que je veux que vous appreniez à connaître, et, pour cela, il faut la voir dans son état le plus primitif » annonce le baron Grodonof à ses enfants. L’Européen chausse les bottes de l’explorateur-naturaliste qui arpente, au nom de la civilisation européenne conquérante, continents et terres inconnues. Les enfants Grodonoff doivent rapporter une peau de chacune des espèces et variétés d’ours connus et tués dans leur biotope respectif. C’est donc un tour du monde à la poursuite de cet animal présent sur plusieurs continents.

 

Une soif de liberté

S’il exalte le courage individuel des chasseurs blancs, Mayne Reid peut aussi étendre cette valeur à l’opprimé, celui qui défend ses territoires de chasse comme les Sémioles, tribu indienne privées de ses territoires de Floride. Sous sa plume, les bushmen africains sont d’une race de nobles guerriers, valeureux chasseurs, bons hospitaliers et intelligents, car il en faut du courage pour s’approcher à quelque pas, et aller tirer une flèche empoisonnée avec un arc, en ayant, pour seule protection, une peau de buffle. Ses romans sont certes conventionnels avec des belles indigènes splendides comme l’aurore naissante, et des Comanches qui les regardent en roulant des yeux… Mais, ce rythme à la Féval, avec surcharge d’évènements, est dans le style de l’époque. C’est le pendant du roman de cape et d’épée. Il a une grande réputation de conteur au style sans prétention, mais plein d’images et de véhémence. « Chasseurs de scalps », voilà un titre à frémir d’épouvante. Cette veine est toute nouvelle pour le lecteur français, dont le pays n’avait pas que quelques confettis coloniaux sur la côte africaine. Il est hardi par son originalité de la description réaliste des mœurs, rudes et étranges, des pionniers de l’Ouest, et la vie non moins difficile des guerriers indiens. C’est un écrivain soldat qui manie la plume comme son sabre. Pour qui veut voyager sans sortir de sa chambre, prendre un livre de Mayne Reid lui ouvrira tous les continents, des hauts plateaux de l’Afrique du Sud, aux pentes neigeuses de la Scandinavie, car le Septentrion fascine, en passant par les chaines escarpées des Rocheuses ou de la Cordillère des Andes. En baissant les yeux sur ses écrits, on peut visiter les Indiens de l’Amazone, les Esquimaux, les Turcomans, les Patagons ou les Fuégiens. Si le dessinateur brode beaucoup de fantaisies sur son canevas, il ne se transforme pas en professeur de géographie. Qu’importe, s’il n’a pas visité tous ces pays, son unique but est de charmer. Le lecteur se rendra compte des similitudes du monde des chasseurs, comme le cérémonial des Honneurs en vènerie, ou le chasseur de lion bushman, qui doit trancher les deux pattes de sa victime pour les apporter comme preuve de son exploit. Mais il ne faudrait pas réduire son œuvre à la pâle imitation de James Fenimore Cooper, premier à décrire la vie indienne. Dans la mire de votre fusil, vous aurez le coyote appelé loup des prairies et avec son nom savant « Lupus latrans ». Mayne Reid fait œuvre didactique pour que vous approchiez au plus près du buffle, du lion, du couguar ou de la girafe, pour les animaux des pays chauds. Vous pensez que la canardière est un trop gros calibre ? Alors riez aux exploits des chasseurs américains, narrés dans le chapitre de la chasse à l’obusier dans « Chasseurs de bisons ». Pour le chasseur français, limité à la chasse banale dont l’horizon était la haie de sa commune et le képi du garde-chasse, c’était un appel vers des quêtes exotiques. Dans ce 19e siècle, le livre de chasse est une double évasion par la lecture et les descriptions qui font que ces œuvres voisines celles de Jules Verne. Pour les chasseurs contemporains, ce monde sauvage, parcouru de passionnés dont les seules limites étaient le courage, a pratiquement disparu. Aussi, relisons Mayne Reid, et pour cela nous n’avons que l’embarras du choix. C’est aussi une façon de réaffirmer notre soif de liberté. 

 

Extrait de : Bruin ou les chasseurs d’ours

 

Un animal d’une taille énorme descendait lentement le tronc du grand pin, au pied duquel Pouchskin se trouvait…

 

Au premier abord, on ne distinguait ni tête ni jambes, mais seulement une masse informe de poils longs et bruns. Si étrange que pût paraître l’aventure, c’était bien leur ours, descendant à reculons de l’arbre, dans les racines duquel ils l’avaient cru caché. Alexis et Ivan poussèrent l’un et l’autre un grand cri pour avertir Pouchskin. Tous deux en même temps levèrent leurs fusils dans la direction de l’ours et firent feu. Pouchskin les entendit, mais il n‘avait pas perçu le reniflement qui les avait avertis eux-mêmes de la présence de l’ours… Leurs cris et leurs coups de feu lui firent lever la tête, mais trop tard, pour qu’il put encore éviter la rencontre de l’ours… L’animal arrivait sur lui, et d’un coup bien appliqué, le jetait face contre terre… Mais le vieux grenadier qui ne prévoyait pas que sa position pût devenir plus critique qu’elle ne l’était, se releva soudain et se saisit de son fusil… Bruin revint à la charge, et au lieu d’exposer son arrière-garde à son nouvel assaut, il marcha la gueule béante sur le grenadier. Celui-ci avait eu le temps d’épauler son arme et fit feu. Mais, hélas, le coup rata. C’était un fusil à pierre et dans la chute qu’il avait faite dans le matin, la batterie avait été couverte de neige et l’amorce qu’il n’avait pas pensé à renouveler, était mouillée. Pouchskin avait tiré son grand couteau, la seule arme qu’il eut sous la main. Sa hache l’eut peut-être mieux servi.

 

Le terrible animal courut sur lui au galop…

Puis, quand il fut à un mètre du chasseur, Bruin se dressa sur ses pattes arrières dans l’attitude du boxeur professionnel. Alexis et Ivan virent alors le vieux soldat se fendre et porter une botte de la main droite. Puis un instant après, l’homme et la bête leur apparurent se saisissant et s’étreignant dans une lutte au corps à corps. Ils se mirent à exécuter ainsi une sorte de valse sur la neige, soulevant une poussière blanche qui formait comme un nuage autour d’eux. Pendant un moment, il fut impossible de distinguer autre chose qu’une masse noire et confuse s’agitant avec violence au milieu d’un tourbillon. Ivan poussait des cris de frayeur. Il craignait pour la vie de son cher Pouschkin. Alexis, plus calmement, rechargeait son arme, comprenant à merveille que tuer l’ours était le plus sûr moyen de sauver son fidèle compagnon. L’ours était un des plus gros et des plus féroces qu’il eut jamais rencontré. Habile et prompt comme un vrai tirailleur, Alexis eut bientôt rechargé son arme et il courut aussitôt sur le lieu du combat. L’homme et l’ours se tenaient étroitement serrés et continuaient à tourner. Tout à coup, il les vit se séparer. Pouschkin était parvenu à s’arracher à l’étreinte de l’ours, mais était toujours trop mal placé de façon à empêcher son jeune maître de tirer. Pouschkin faisait de son mieux pour échapper à la poursuite dont il était l’objet, mais l’avantage était du côté de l’ours.  En effet, tandis que l’homme sentait à chaque pas la neige se briser et céder sous ses pieds, les larges pattes du quadrupède glissaient sans la moindre difficulté sur la surface glacée. L’ours gagnait du terrain. Une ou deux fois déjà, il s’était retrouvé si près de celui qu’il poursuivait qu’il touchait les vêtements du bout de son museau. Mais, pour pouvoir se redresser et atteindre dans cette position, son ennemi d’un coup de griffe, il fallait qu’il fut plus près encore et Bruin le savait.

 

L’effet d’un moment…

Debout sur ses pattes de derrière, une patte avant levée, il se préparait à frapper sa victime. Ivan et Alexis poussèrent à la fois un cri de détresse, mais avant que le coup fatal pût être porté, celui à qui il était destiné avait disparu comme si la terre se fut entr’ouverte sous ses pas. Pouschkin avait-il été atteint et terrassé par son formidable adversaire ? Ils avaient vu l’ours se précipiter en avant comme pour se jeter sur le corps de son ennemi renversé, mais presqu’aussitôt, à leur terreur, se mêla une vive surprise. Ils ne voyaient plus ni l’homme ni l’animal, les deux avaient complètement disparu. Pouchskin avait sans doute oublié les dangers du passage du pont de neige et il avait une seconde fois passé à travers. Mais, maintenant, il n’y avait pas sujet de rire. Il n’était plus seul enfermé dans son trou comme le pantin dans la boîte à surprise. Suivant toute apparence, il se débattait sous le poids du monstre sauvage qui le déchirait à belles dents. En approchant, Alexis entendit en dessous de lui un mélange confus de bruits au milieu desquels il était facile de distinguer les grondements de l’ours. Arrivé à trois mètres du précipice, il aperçut un objet qui le fit soudain s’arrêter. C’était tout simplement l’extrémité du museau de l’ours qui apparaissait à la surface. Il ne voyait ni les yeux ni aucune autre partie de son corps, mais seulement le bout de son nez et quelques centimètres du museau. L’ours, dressé sur ses pattes de derrière, cherchait à se retirer de là en grimpant le long des parois de sa prison. Il vit presqu’aussitôt l’animal s’élever perpendiculairement et montrer, hors du trou, sa tête et une partie de son cou…

 

... et d’un instant

Bruin qui semblait jouer le rôle du diable dans sa boîte, retomba et disparu de nouveau tout entier. La première pensée d’Alexis avait été d’attendre que la tête se montre toute entière. Mais une réflexion lui vint prompte comme l’éclair, c’est que l’animal pourrait bien atteindre la surface solide du banc de neige et le mettre lui-même en danger. Pour conjurer le péril, il résolut de faire feu sur le champ… C’est à la cervelle qu’il voulait frapper le monstre et la position du museau suffisait pour lui indiquer exactement où se trouvait le reste de la tête. Un chasseur moins habile ou moins expérimenté serait resté où il était, et, calculant de son mieux la position que devait occuper la tête de l’ours, il aurait tiré dans cette direction à travers la neige. Mais, Alexis savait à merveille que, tirant obliquement, la balle pourrait glisser sur la surface et manquer complètement son but. Pour assurer son coup, il fit deux pas en avant, introduisit le canon de son fusil dans la neige jusqu’à ce que la gueule touchât la tête de la bête et il fit feu… La fumée et la neige soulevée par l’explosion formèrent un nuage épais au-dessus du précipice. Alexis se glissa à genoux et plongea son regard à l’intérieur. Il y avait du sang sur la neige et au milieu des débris de glace, apparaissait une masse noire dans laquelle il ne lui fut pas difficile de reconnaître le corps de l’ennemi. Mais qu’était devenu Pouschkin ? En proie à une sorte d’angoisse, il se mit à crier et à appeler son vieux compagnon, lorsque tout à coup, il entendit, à quelques pas, un bruyant éclat de rire dans lequel il reconnut la voix d’Ivan. Quelle pouvait être la cause d’une telle gaieté ? A dix pas, un objet difficile encore à distinguer cherchait à se faire jour à travers la neige. Cet objet de forme ronde ou ovale pouvait avoir une trentaine de centimètres de diamètre, mais Ivan n’eut pas plutôt aperçu cette boule apparaissant tout à coup au niveau de la croute de glace… qu’il reconnut la tête de Pouschkin. Elle se dressait comme un sphinx au-dessus de la surface gelée, ses cheveux gris couverts de neige comme une perruque à frimas, la moustache poudrée de même. Tout concourrait à former un tableau devant lequel il était difficile de garder son sérieux…    

 

Captain Mayne Reid