Père du Saint Hubert Club
C’est un autre Bourguignon, Max de Nansouty, qui va l’inciter à écrire sur la nature et la chasse. De nombreux articles vont alimenter les colonnes du « Figaro », de la « Revue des Deux Mondes » ou des rubriques dans « la Vie à la Campagne ». Simultanément, Paul Cunisset-Carnot étoffe ses publications par des ouvrages sur le lièvre et la bécasse, gibiers de son bocage. Juriste, il parle des questions juridiques et des accidents de chasse, ceux que l’insouciance occasionne, ceux créés par les armes et les munitions quand on fabrique ses cartouches. Dans ses « Conseils aux Chasseurs », il recommande le calme et la maîtrise de soi : « Calmez-vous, ne tirez pas sans avoir visé, sachez ce qu’est la portée d’un fusil, surtout celle du vôtre… ». En collaboration avec Justinien Clary et Paul Gastinne-Renette, il édite, chez Larousse, « Chasse moderne, Encyclopédie du Chasseur ». Une autre mouture sera publiée en 1910 sous le titre : « La chasse à tir au chien d’arrêt et la chasse au gibier d’eau ». Depuis de nombreuses années, un courant d’union se dessinait dans le milieu de la chasse. Sous le Second Empire, le « Journal des Chasseurs » se targuait d’être le lien et le signe de reconnaissance entre chasseurs, et déjà différents syndicats anti-braconnages se structuraient pour la défense des intérêts de la chasse. Mais ce n’étaient que des structures départementales. Dans un domaine tout autre, celui de l’automobile toute récente dans son essor, le Touring Club connaissait un succès remarquable. Aussi, Paul Cunisset-Carnot lança l’idée d’un club à l’identique pour les chasseurs de tout poil et plume, qui sont plus de 500 000 en France. Ainsi, porte–t-il sur les fonts baptismaux le Saint Hubert Club de France. Lors de son assemblée constitutive, Cunisset-Carnot est proclamé président d’honneur. Dès son lancement, le Saint Hubert Club se pose en organe de réflexion et de proposition, demande l’envoi d’une lettre à lire dans toutes les classes pour apprendre aux élèves que la chasse est une richesse nationale qui a besoin d’être protégée, qu’ils seront les conservateurs de la nature au lieu d’en être les destructeurs. Succès phénoménal qui permet au jeune Saint Hubert Club de passer de 7 650 en 1904 à 37 567 adhérents en 1910. Le Club s’attèle avec succès à des chantiers comme la création de caisse de secours mutuel pour le personnel de la garderie, ou les subventions en 1913 pour la fondation de la première société des Parcs Nationaux. La revue sortira des presses à partir de 1913. Ce petit saut en arrière ne peut que nous convaincre de la justesse des engagements des chasseurs responsables.
Un auteur prolixe
En mai 1907, Paul Cunisset-Carnot est vice-président du Conseil International de la Chasse qui tient ses assises à Paris. Mais, pour Cunisset–Carnot, la chasse reste l’atavique, l’indomptable passion cynégétique qui s’allie à l’adresse, la patience, le sang-froid, mais aussi à l’émotion et à la volonté de réussir à tuer le gibier objet de tant d’attente. « Quand le fusil parle, le cœur se tait. Je chasse, je cherche la proie, je la poursuis, je lui prends la vie, sans scrupule et sans hésitation, heureux de la difficulté vaincue. J’exerce, avec un plaisir intense dans sa barbarie, un droit découlant de la loi de la vie et de la conservation ». Avec ses ouvrages, on peut aborder beaucoup de facette de notre passion. La chasse, depuis « le Lièvre » (1888), jusqu’au grand classique, en 1910, qui réjouira notre lectorat : « Au sanglier, à la hoû ! » en passant par « Flâneries d’un chasseur par les champs et les bois » (1905), ou le plus technique « Pour les chasseurs, faites bien vos cartouches ». Il devient lyrique pour disserter de la mentalité du chien et évoque, avec délicatesse, « le moment partagé délicieux qu’est l’arrêt, tant pour le chien que pour le maître ». En juin 1919, le Saint Hubert Club conclura sa notice ainsi : « Ayant beaucoup fait pour la cause des chasseurs, il doit rester un des écrivains les plus populaires parmi les auteurs cynégétiques ». Respectons donc ce souhait en lisant ou relisant cet auteur…
Extrait : « Au sanglier, à la hoû ! »
Par le mauvais hiver de 1894-1895, depuis midi nous menions un bon sanglier…
Cet animal qui devait faire dans les 200/240 livres, prenait son temps. Il connaissait à fond tous les endroits les plus fourrés de la forêt, tous les coins à fondrières, tous les ronciers impénétrables et qui nous y promenait systématiquement. Deux fois déjà, il avait pris un moment d’arrêt et fait tête aux chiens, mais cela n’avait pas été sérieux. C’était pour voir, pour les tâter, nous avions eu d’ailleurs les plus grandes peines à nous faufiler jusqu’ à l’endroit du ferme à pied, bien entendu en laissant les chevaux attachés en arrière. Quand nous étions arrivés, les deux fois, le sanglier avait filé dès qu’il avait eu connaissance de nous et nous n’avions même pas pu l’apercevoir. Enfin, il s’arrêta pour de bon et nous ne tardâmes pas à entendre des abois qui paraissaient sérieux. Cinq bons chiens étaient sur la bête, acculée au plus épais d’un roncier où le diable n’aurait pas pu passer en s’aidant de ses cornes ! Les deux plus lestes d’entre nous sautèrent à bas de cheval et tâchèrent de se glisser jusqu‘au lieu du combat dont nous entendions distinctement les retentissants éclats. Le sanglier « jouait des castagnettes », les chiens donnaient à pleine gueule, furieusement, rageusement. On sentait la bataille engagée à fond, et chose terrible pour notre oreille exercée, nous avions entendu des cris de douleur, fréquents, redoublés et même il nous semblait que les voix des chiens étaient moins nombreuses qu’au début. Rampant, coupant les branches à grands coups de mon couteau de chasse, je faisais des efforts surhumains pour avancer au travers de ce roncier maudit. J’arrivais, j’avais le vent et je sentais la forte odeur du sanglier. Encore une poussée, encore quelques branches coupées et j’y serais. Une colère me montait de ne pouvoir aller plus vite car oui, j’en étais certain, il n’y avait plus cinq chiens après la brute enragée ! Peut–être n’y en avait-il plus que deux, plus qu’un même. Mais je n’avais pas le temps d’écouter, je fonçais toujours ruisselant de sueur, trempé de neige que les branches versaient sur ma bombe et qui delà, s’éparpillait dans mon cou et sur ma poitrine par l’ouverture de mon vêtement dégrafé. Je criais à pleins poumons pour encourager les braves combattants et mon compagnon qui avait fini par me rejoindre, bataillait et criait avec la même énergie, car nous aimions à supposer encore que si nous n’entendions plus tous les chiens, c’est que plusieurs d’entre eux tenaient le sanglier, ce qui leur fermait la gueule, en sorte que nous n’avions pas à chercher à le surprendre en silence. Enfin nous arrivâmes au champ de bataille que le roulement des combattants avait en partie déblayé. Des nappes de sang sur la neige, des morceaux d’entrailles rouges par plaques, Montagnard, Haro, Trimardeur, nos trois meilleurs chiens, égorgés, le ventre ouvert, le crâne défoncé, les crocs retroussés dans leur gueule encore menaçante, mais leurs yeux éteints dans le calme de la mort. Un peu de côté, Loutonne assisse sur ses boyaux, saisie d’une stupeur énorme, comme hypnotisée et le pauvre petit Graindor, auquel la faiblesse de ses moyens ne permettait le combat de face mais dont l’intelligence guidait la tactique des autres à quelques mètres derrière le monstre, muet d’émotion, ne sachant plus que faire et n’osant pourtant pas déserter quand il nous entendait !
Au centre de l‘arène
Le sanglier, la gueule ouverte, toute sanglante, l’œil mauvais, conscient de sa force et orgueilleux de sa victoire, nous attendait, menaçant ! Nous n’avions pas de fusil ce qui était une faute dont j’ai senti, ce jour-là, toute l’énormité. D’un commun mouvement, mon compagnon et moi nous fonçâmes sur la brute, le long couteau au poing, mais le sanglier, qui avait plus de sang-froid que nous, n’attendit pas nos coups. Sans se presser, il se retourna et s’en alla au petit galop à travers le fourré. Oh, l’horrible journée ! Et voilà comment échappe un sanglier, même quand il a pris un ferme que l’on peut considérer comme sérieux. Ainsi arrive-t-il quand il y a un change, ce qui se produit encore avec les chiens les mieux créancés dans les bois assez vifs en sangliers. Je discute à dessein car les chiens les plus sûrs font parfois d’étranges aberrations et nous exécutent des changes insensés. C’était en octobre 1875 ou 1876, il faisait très beau et très doux. Nous avions un tiers-ans de remis et nous l’attaquâmes sans trop d’ardeur. Par cette molle température, la chasse promettait peu de péripéties et une prompte conclusion. Pourtant, la chasse file et nous voilà partis. Visiblement, cela se traînait. Au bout d’une heure, nous pensions que les abois n’étaient pas loin, quand tout à coup après un défaut d’une minute et quelque chose qui avait ressemblé à un ferme, la chasse file, file avec une entraînante rapidité. Nous suivions enchantés, mais personne n’avait vu la bête. Elle prend une ligne toute droite, sort sur une laine qui s’enfonçait entre deux parties de la forêt et toujours invisible, se dirige droit vers le village voisin. Ceci, les sangliers le font fort bien. Nous suivons au grand galop. En arrivant aux premières maisons, nous entendions un ferme terrible, à quelques cent mètres de là dans la grande rue. Cela devenait drôle ! Un temps de galop et nous y voici. Mais en arrivant, nous n’entendons plus rien. C’était fini, la bête était mise à mort depuis quelques secondes. Nos chiens la foulaient, pressés et nous ne la voyons toujours pas. Quelques coups de fouet et le jour se fit. La prise avait sa valeur ! C’était un malheureux chien de berger qu’une curiosité déplorable et mal inspirée avait amené à portée de notre meute au moment d’un crochet de notre sanglier et sur lequel elle avait fait change avec une inexplicable sottise, et ce n‘est d’ailleurs pas le seul exemple que je connaisse de pareille mésaventure.