Si la compagnie de sangliers semble soudée, elle connaît des moments d’instabilité, notamment après les mises-bas. Les jeunes femelles non reproductrices acceptent mal le retour de leur mère accompagnée d’une nouvelle portée. Parfois, ce sont les laies adultes elles-mêmes qui ne tolèrent plus ces jeunes. Le résultat est le même : ces jeunes femelles quittent leur groupe pour en rejoindre un autre, ou fonder leur propre compagnie. Cette émigration est souvent définitive, et leur nouveau territoire ne chevauche pas l’ancien. Un peu plus tard, les jeunes mâles connaissent le même sort.
D’abord, leur instinct exploratoire les pousse à s’éloigner, découvrant de nouveaux espaces. Puis, lors du rut, la présence de mâles dominants les contraint à s’exiler. Ces jeunes errants, parfois regroupés temporairement, peuvent parcourir de vastes distances, donnant naissance au mythe des « sangliers de passage ». Les suivis télémétriques montrent que certains individus couvrent jusqu’à 15 000 ou 20 000 hectares en une année, ce qui correspond souvent à quelques communes seulement. D’où la remarque ironique des gestionnaires cynégétiques : « Sur 20 000 hectares, tout le monde chasse les mêmes sangliers ». Ces déplacements favorisent le brassage génétique, garant de la vigueur des populations. Les études indiquent qu’environ 80 % des sangliers abattus le sont dans leur domaine de naissance. Les 20 % restants appartiennent à la catégorie des grands voyageurs. Certains cas sont spectaculaires : un sanglier capturé dans l’Hérault fut abattu en Haute-Loire après deux ans et 143 kilomètres parcourus, un autre, marqué en Camargue, fut retrouvé dans les Cévennes à 80 kilomètres de là. Ces exemples illustrent la formidable capacité d’adaptation et de mobilité du sanglier, capable de s’établir partout où les ressources et les abris sont suffisants. Finalement, les mouvements d’émigration et d’immigration se compensent naturellement : aucun territoire ne reste vide tant que l’environnement demeure accueillant. Les sangliers, éternels vagabonds mais non migrateurs, dessinent par leurs allées et venues un réseau invisible d’échanges et de passages, liant les territoires voisins dans une même dynamique naturelle.
L’occupation de l’espace par les sangliers
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L’occupation de l’espace par les sangliers